Timelapse, stop motion, GIF : voir et comprendre le monde en jouant avec les vitesses #FIG2016

Timelapse, stop motion, GIF : voir et comprendre le monde en jouant avec les vitesses

Xavier Bernier et Camille Girault, maîtres de conférences,  Université Savoie mont-Blanc

Historiquement, les procédés du phénakistiscope et du praxinoscope relèvent d’une vielle volonté de donner l’illusion du mouvement. Le GIF animé n’est donc pas une innovation et le timelapse a été inventé par erreur par un opérateur des frères Lumière lors d’une corrida. Pensant qu’il n’avait pas assez de bobine, il a ralenti son mouvement, ce qui a donné un effet accéléré lors de la diffusion.

Au quotidien nous sommes soumis de manière récurrente à ce procédé : sur les murs comme à Times Square, sur les panneaux publicitaires. Ainsi un rythme nous est imposé. Toutefois, il ne faut pas confondre vitesse et célérité. L’effet « vidéoptique » de l’illusion du mouvement perpétuel avec une vitesse régulière peut être contredit par l’immobilité de l’espace environnant.

Existe-t-il des questions d’échelle ? Finalement, quelle portion de l’étendue est prise en compte. De manière contre intuitive, le dispositif fait que plus on veut accélérer le mouvement moins il faut d’images, et inversement, à cause de la fréquence qui, mathématiquement, est l’inverse de la période. Bref, pour accélérer…il faut freiner ! Tout joue sur la vitesse « normale » de perception de l’œil, soit 24 images par seconde. Faire varier ce chiffre, c’est modifier notre perception de la réalité.

Les smartphones se sont emparés de ce mouvement, parfois dans une construction de réalité augmentée, pour faire par exemple apparaître le lapin d’Alice. Toujours pressé, par l’heure, l’image qui se répète montre toutefois qu’il n’avance pas. Des applications natives permettent aujourd’hui de créer des GIF ou timelapse. Certes, cela rappelle le mode rafale des appareils reflex, mais la nouveauté est l’absence de bruit et la restitution immédiate en time lapse ou GIF.

On peut aussi dire que c’est un langage qui devient sémiotique, le gif a une portée qui dépasse sa fonction technique.

On peut proposer un projet spatial avec une mise en abîme perpétuelles, comme lorsqu’on crée un mouvement sans fin dans un couloir. C’est un outil facile à manipuler avec les élèves, notamment en sortie de terrain. L’exemple d’un GIF où un cycliste échappe à un train en sautant de sont véhicule permet d’introduire 3 rythmes synchrones (train/vélo/marche). Un autre exemple proposé, celui de mouvements de foule à Tokyo, permet de réfléchir sur l’alternance vitesse/arrêt et de mettre en évidence des mouvement non visible sinon :

tokyo

Plus complexe, car ayant nécessité de nombreux peintres, un tableau de Van Gogh est mis en mouvement, là aussi avec des rythmes qui se superposent : paysan, calèche, train. Mais on peut s’interroger : le mouvement n’est-il pas mieux rendu par la toile fixe ? Il faut donc toujours interroger le dispositif :

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Certains auteurs comme le journaliste Jean-Philippe de Tonnac sont très prolifiques et alimentent les réseaux sociaux, et notamment son compte Twitter.

L’intérêt pour la géographie est évident. Un gif montre par exemple des mobilités pendulaires aux Etats-Unis. Mais il faut là encore interroger ces mobilités jamais interrompues : cela reste un outil à manier avec précaution, car ce segment n’est qu’une photographie avec une épaisseur temporelle.

Les mouvements de la foule Place de la République le 11 janvier 2015 montrent que c’est bien la manifestation qui fabrique le lieu. Curieusement, on peut aussi identifier les individus immobiles, en station : ainsi, en accélérant, on voit mieux l’immobilité ! On peut aussi faire voir un mouvement habituellement trop lent, comme l’avancée d’ un glacier à 80 m/an : il suffit pour cela de choisir une échelle adéquate.

Le time lapse permet de mettre en avant les intersapatialités dans des lieux comme les gares, ainsi que l’ont montré les conférenciers. On peut ainsi discriminer des vitesses et faire apparaître des « portes », c’est-à-dire des lieux où on change de comportement. C’est donc un outil utile pour l’aménagement.

Mais attention, l’objet peut être véritablement trompeur, comme la carte des flux migratoires, conçue pour donner un sentiment anxiogène d’invasion. Le caractère attrayant peut donc être un piège [voir la critique du carnet Neocarto] :

flowtowardseurope

La technique peut déborder de son caractère technique restrictif pour envahir l’espace réel. Deux dispositifs l’illustrent :

  • le « freeze », comme celui réalisé dans la gare de Grand Central à New York, où environ 200 personnes réalisent une performance en s’immobilisant. Le reste de la foule n’est plus synchrone, la vitesse est donc finalement mise en scène par l’immobilité. Mais la foule se réapproprie l’expérience en filmant et en prenant des photos :

 

  • le flash mob, comme celui réalisé à Dubaï ou des danseurs camouflés en passagers, hôtesses, employés se mettent à danser à un signal donné. Là aussi c’est le smartphone qui rend l’expérience intéressante. C’est l’événement qui fabrique l’accélération par effet de rupture, précisément dans un aéroport qui est un lieu des vitesses.

Cela dit donc l’importance du récit, un récit qui fait sens et fait exister l’espace.

NB : je tiens à remercier les conférenciers qui m’ont obligeamment transmis leurs sources.

Géomatique des transports – Une approche transversale entre Géographie et Informatique et Création Numérique #FIG2016

Géomatique des transports. Une approche transversale entre Géographie et Informatique et Création Numérique (ICN)

Samuel Coulon, professeur d’Histoire-Géographie, et David Roche, professeur de Physique.

p_20161001_113337coulonrocheDans le cadre des ateliers numériques du FIG 2016, S. Coulon et D. Roche nous présente un projet particulièrement intéressant. La géomatique doit permettre à l’élève d’être acteurs dans trois rôles : concepteur, élaborateur et utilisateur. Le cadre de l’ICN est ici pertinent. Pour rappel, il s’agit d’un enseignement d’exploration en Seconde, puis d’une option en Premières. En Terminales, les séries L et ES continuent l’ICN en option facultative, et les S passent en spécialité ISN.

L’approche est transdisciplinaire et les élèves doivent construire des projets, ce qui induit leur participation active. La pédagogie de projet répond à une problématique disciplinaire, ici géographique avec le thème 2 du programme de Premières ES/L.

Le module d’ICN proposé est celui du programme sur la « visualisation et représentation graphique de données » en utilisant des données géolocalisées. Le déroulé horaire est le suivant :

  • une première heure en géographie pour sélectionner les données
  • 15 heures en ICN pour les aspects techniques et construire le projet
  • une dernière heure en géographie pour une analyse critique des productions

Le projet recourt à deux concepts liés aux données :

  • le Big data qui consiste en une méthode et une technologie de collecte d’un très grand nombre de données, avec pour objectif des les traiter en temps réel
  • l’Open data pour bénéficier de données libres et ouvertes

On puise les données dans différentes sources : EU Opendata portal, Eurostat, SNCF Opendata et Rail et histoire pour récupérer les données SNCF antérieures à 1980.

On doit apprendre à s’y retrouver dans un « océan de données » car il faut non seulement trouver ces données mais aussi s’assurer qu’elles soient complètes.

Le traitement informatique se fait avec la bibliothèque JavaScript D3JS qui permet de traiter des formats variés (Json, csv, xml, …) pour ensuite les afficher dans un navigateur web. On pourra se référer à l’excellent site informatiquelycee.fr de David Roche qui propose des activités pour les élèves avec une mise au travail par petite touche afin que l’élève ait toujours quelques chose à faire.

Samuel Coulon et David Roche nous proposent des résultats possibles :

  • un cartogramme animé des temps de transport de la SNCF avant et après la mise en place de LGV, ce qui permet bien sûr de rendre compte de la contraction des données.
  • une carte à case à partir des données Eurostat qui montre le nombre de passagers par km en million. On peut aussi faire apparaître le résultat en carte à bulles, mais le meilleur choix reste sans doute la carte choroplèthe. En modifiant rapidement et facilement le code, on peut faire varier le nombre des seuils et leurs valeurs.

Ainsi, on fait réfléchir sur les modes de représentation graphique, en développant un esprit critique sur les limites de la visualisation. On peut donc dire que l’ICN est une discipline ouverte sur l’extérieur. L’intérêt de la bibliothèque JavaScript choisie tient notamment dans les nombreuses fonctions interactives possibles : la seule limite est donc la connaissance du code.

Samuel Coulon et David Roche nous montrent ainsi toute la pertinence de l’engagement de la géographie dans l’ICN, avec un exercice qui fait sens et permet vraiment de rendre l’élève créateur tout en développant une analyse critique. C’est une démonstration stimulante qui ne peut que favoriser la promotion de l’ICN !

 

Enseigner la mer #FIG2016

Enseigner la mer

Présentation d‘ouvrage par Florence Smits, Inspectrice Générale de l’Éducation Nationale

n-9135-13377F. Smits présente un ouvrage édité par Canopé dans une toute nouvelle édition.

La mer, encore parfois convoquée pour faire l’éloge de la lenteur et de la liberté, est aujourd’hui un élément incontournable et qui à ce titre se trouve dans tous les programmes.

Pourquoi une nouvelle édition ?

Tout simplement parce que « la mer monte dans les programmes ». La géographie des mers et océans n’apparaît que dans la 2e moitié du XXe siècle, en se détachant de l’océanographie par l’introduction des hommes, d’abord par la pêche et le tourisme. Puis, on s’éloigne du littoral pour aborder la haute mer.

Il s’agit désormais de renforcer l’approche pluri-disciplinaire et de multiplier les études systémiques. De nouvelles perspectives s’ouvrent donc dans l’approche et les contenus, par exemple pour mieux comprendre les enjeux géostratégiques. Cette notion apparaît d’ailleurs 2016 dans les programmes de Seconde et Terminales.

La première édition du livre date de 2013 et témoigne de cet intérêt croissant, qu’on retrouve d’ailleurs aussi dans les concours de recrutement. On introduit la mer au collège en 2016 car c’est désormais une clé incontournable pour comprendre un monde contemporain à la complexité croissante, tant dans ses aspects économiques que dans sa dimension environnementale. En 4e on en reste au factuel, les aspects géopolitiques étant introduits en Terminale. On s’adapte donc au rythme de progression des élèves.

Pour enseigner la mer il faut décentrer le regard, se remettre en cause et faire évoluer ses pratiques. Cela implique de remettre en cause les concepts de territoire et de frontière, notamment parce qu’il faut maintenant envisager cet espace dans ses trois dimensions. Camille Parrain a proposé un nouveau concept, le « merritoire », qui certes repose encore sur un jeu de mot mais qui va sûrement devenir opératoire avec l’augmentation de la présence humaine et la diminution des ruptures entre la terre et la mer. On peut aussi redécouvrir les territoires au regard des liens avec la mer, comme par exemple les grandes métropoles qui sont souvent de grands ports.

Les fondamentaux ne sont toutefois pas à oublier :

  • il faut une approche systémique pour tenir compte des nombreux acteurs et enjeux
  • l’approche multiscalaire est fondamentale

Ainsi, on assiste aujourd’hui à des réorganisation régionales : avec la croissance de la capacité des porte-conteneurs, les navires de 12/14 000 EVP sont de plus en plus utilisés pour le feedering ce qui requiert l’aménagement de ports jusque là aptes à accueillir des 6 000 EVP. C’est un basculement de la géographie qui invite à ne plus se contenter des littoraux, où la mer n’est qu’un support, mais à s’ouvrir vraiment aux mers et océans.

L’ouvrage va au-delà d’une simple actualisation car la demande est plus large avec le thème porté au collège et dans les concours. Ainsi de nouvelles séquences pédagogiques sont disponibles gratuitement en ligne et le format a été revu.

Un ouvrage, deux composantes

3 objectifs pour le livre papier :

  • académique pour assurer une mise au point scientifique
  • pédagogique, pour savoir quand l’enseigner
  • didactique pour le contenu

Après 11 pages d’introduction, 11 chapitres sont regroupés en 3 parties :

  • Mers et océans dans la mondialisation
  • Les mers, les océans, les hommes
  • Au cœur des enjeux de puissance

La 2e composante est l’ensemble des séquences pédagogiques. On en trouvera notamment 6 pour le collège, 6 pour le lycée général, 3 pour les EPI.

Toutes les entrés n’ont pas à être mobilisées mais on peut facilement adapter les séquences. Pour chaque leçon les auteurs ont pris le parti de proposer un choix important de documents, pour laisser à l’enseignant la possibilité de choisir. Une séquence peut toujours s’aborder de trois manières :

  • un produit clé en main
  • un support à recomposer
  • un puzzle permettant de combiner plusieurs séquence pour en faire une seule

Toutes les séquences sont organisées de la même manière avec notamment référence au BO et à la fiche Eduscol, une problématique,l’approche retenue avec les compétences ; les notions et le vocabulaire.

On trouvera des cartes et des exercices d’inégale difficulté afin de permettre un travail différencié selon les élèves.

Conférence inaugurale – quelles lectures géopolitiques du monde actuel ? #FIG2016

mfoucherLa conférence introductive est précédée par le traditionnel accueil des enseignants. Catherine Biaggi, Inspectrice Générale de l’Éducation Nationale, rappelle les quatre axes principaux qui guident notre discipline dans ce FIG 2016 :

  • s’interroger sur la discipline et le métier, croiser nos conversations, nos regards avec le pays invité
  • permettre la rencontre avec des chercheurs autour d’ouvrages par exemple sur le rôle de l’image ou l’habiter au cinéma, dans les séries
  • le développement durable au défi du monde
  • le numérique qui est une priorité du ministère

Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Éducation National, fait le point sur les publications récentes qui ont retenu son attention, notamment dans la collection Autrement, avec un Atlas de l’Inde et un Atlas de l’Afrique. Il introduit ensuite Michel Foucher, un « intellectuel, géographe engagé dans son temps ».

C’est donc M. Foucher, géographe, diplomate, professeur à l’École Normale Supérieure et à l’IEP et ancien ambassadeur, qui va cette année lancer la conférence introductive sous le titre « Quelles lectures géopolitiques du monde actuel ? »

Le mot géopolitique, précise M. Foucher en préambule, est souvent utilisé par des non géographes, or il s’agit d’un aspect essentiel de la géographie. On ne parle pas d’ « historiopolitique » pour justifier l’intérêt des historiens pour la chose politique. Le conférencier poursuit son propos en rappelant les définitions des mots géographie et géopolitique :

  • La géographie est la description du monde connu (en insistant sur ce dernier mot), un travail tout autant objectif (la réalité) que subjectif (via nos représentations que traduisent notamment les cartes mentales). La géographie est là pour lire, interpréter et si possible aider à comprendre en donnant du sens.
  • La géopolitique se situe à l’interaction entre le politique et le territorial. Il donne pour exemple internet qui a une assise territoriale avec ses data centers, ses câbles.

M. Foucher indique ensuite ses clés de lecture du monde qui se déclinent en 6/7 axes fondamentaux.

Ce sont des facteurs structurants (ex : la démographie), des tendances lourdes tout autant que des changements ou inflexions qui prennent sens progressivement. Par exemple, le nouveau concept de surprise stratégique qui apparaît dans les Livres blancs. M. F. souligne qu’il laissera toutefois de côté les transformations climatiques, faute de temps et de compétences. Il termine cette introduction en rappelant qu’il ne faut jamais cesser de creuser, de travailler et de penser surtout dans des périodes difficiles qui suscitent l’inquiétude. Le monde n’est en effet pas chaotique ou incompréhensible et il faut, pour le comprendre, opérer une analyse géographique curieuse et rigoureuse.

1. La croissance démographique

On peut se référer à une source fondamentale : le tableau de l’INED de 2015 sur les pays du monde. Il faut en effet toujours commencer par analyser les chiffres, comme l’indice synthétique de fécondité ou les projections :

  • Environ 7 milliards d’êtres humains aujourd’hui, 10 milliards vers 2050, mais pour le géographe la question est avant tout de savoir où sont ces masses.
  • En 2050, l’Inde dépassera la Chine sur le plan démographique, l’UE sera stable et les Etats-Unis avoisineront les 400 millions d’habitants.
  • 10 États de plus de 100 millions d’habitants en 2050 dont 6 en Afrique.

Ces données indiquent des enjeux, des défis pour la sortie de pauvreté comme pour les migrations (qui sont d’abord intra-continentales !). On s’aperçoit aussi que la transition démographique progresse partout sauf en Afrique où la population devrait être multipliée par 2.

Le monde est « diasporique » : 3 % au moins de la population mondiale vit en dehors de son pays de naissance. C’est le même chiffre qu’à la fin du XIXe siècle, sauf que ces migrations actuelles sont irrépressibles car il existe des pressions au départ (guerres…) et surtout des pressions attractives liées en partie à une meilleure information sur les différences de niveau de vie entre les lieux (processus du push/pull). M. Foucher cite quelques exemples de diasporas : nigériane, vietnamienne, cambodgienne, sénégalaise…Il insiste par ailleurs sur le fait que les migrations sud-sud sont les plus importantes.

Le monde est donc très mobile, et il y a d’ailleurs plus de mobilité que de vitesse : 450 millions de franchissement de Schengen par an, la frontière États-Unis Mexique est la plus traversée avec désormais très peu de flux illégaux du fait de la hausse du niveau de vie au Mexique accompagnée d’une baisse de la fécondité ; c’est aussi des flux de capitaux, comme le milliard de dollars qui circule quotidiennement entre Tijuana et San Diego. Les murs n’y changent rien, sinon d’augmenter le prix de leur passage, car l’histoire des frontières est une histoire de leur contournement.

2. La mondialisation économique et financière

entrada-shipping-panama-clara-ampliado_929617097_2294140_1020x574L’extension d’un mode de production capitalistique (économie de marché) fait référence au terme de mondialisation. Mais celui de globalisation induit un phénomène plus global avec beaucoup plus d’effets à venir, de nouveaux milieux de vie, et donc une nouvelle grammaire de la modernité.

Le regard économique sur le monde change et les grands groupes, comme le rassemblement de Davos, redécouvrent la géopolitique : il existe des crises autres que celles liées à l’économie. Ce changement, on peut le lire aussi dans les synthèses prospectives qu’ils produisent.

Après cette clarification sur les notions de mondialisation et globalisation, le géographe met en avant l’idée d’un monde interdépendant, un monde connecté, un monde d’échanges à mettre en rapport avec les deux révolutions que sont le conteneur et internet.

M. Foucher prend ici l’exemple du trafic maritime de marchandises en expliquant que ce sont surtout des pièces détachées qui circulent (60 % du trafic) du fait de la division internationale du travail. Cette DIT est illustrée par le doublement du canal de Panama, franchit pour la première fois en juin 2016 par le porte-conteneurs Cosco Shipping Panama d’une entreprise chinoise (d’ailleurs présente au Pirée) qui a une vision globale. On trouve également des éléments de voiture indienne fabriqués au Sénégal.

selection_008Cependant M. Foucher indique que le commerce mondial ralentit aujourd’hui en lien avec la baisse du prix du pétrole et le ralentissement de l’économie chinoise. Parallèlement, on assiste à des phénomènes de démondialisation (avec notamment des relocalisations dans les pays développés), même si la densité des navires, comme en baie de Dalian, reste très importante et souligne le rôle moteur de la Chine dans les échanges maritimes.

La carte des câbles internet, projetée par le conférencier, vient aussi mettre en lumière cette idée d’un monde connectée, depuis la pose des premières liaisons télégraphiques en 1855 pour relier les bourses de Londres et Paris. Ces câbles suivent d’ailleurs le plus souvent le trajet des pipelines. Les atterrissements (points d’accès internet) permettent ainsi de faire transiter 98 % du trafic.

La globalisation est donc d’abord maritime (cf rapport du Sénat) avec une orientation continentale, la présence de nœuds (Caraïbes, la côte ouest des États-Unis…) et de routes (dont six routes principales pour les fibres optiques). On remarque une inégale couverture d’internet mais que le rattrapage de l’Afrique est en cours

Le mot clé est la connectivité (« accès »), ce qui n’est pas la même chose que la vitesse. La connectivité est aussi un programme politique : pour H. Clinton, dans un discours de janvier 2010 qui vise notamment la Chine, c’est une 5e liberté (par rapport aux 4 énoncées par Roosevelt lors de la guerre : expression, culte, vivre à l’abri du besoin, vivre à l’abri de la peur) et l’axe central de sa diplomatie.

Dès juillet 2009, B. Obama lui même dans un discours à Accra disait que l’Afrique est « une partie fondamentale de notre monde interconnecté. » Toutefois, cela révèle une forme nouvelle de l’hégémonie américaine.

La projection de la carte de la consommation électrique dans le monde permet au géographe de rappeler que l’Afrique représente 17 à 18 % de la population mondiale mais seulement 2 % de la consommation d’électricité ! Il faut donc « éclairer l’Afrique » qui est le titre du programme annoncé par le président Nigérian lors d’une rencontre africaine.

Ce monde connecté et interdépendant se lit également à travers les crises financières, comme celle de 2008, qui nécessitent une coordination des politiques économiques dans des organismes de type G7/G8/G20. Ces réunions donnent lieu à de belles photographies de chefs d’État qui n’ont pas vraiment de prise sur les événements.

Autre précision, c’est un monde interdépendant mais il n’y a rien de linéaire : les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets, et les causes faibles peuvent avoir des effets forts…d’où l’impression de chaos.

3. Émergence et émancipation

Toute une série d’États de l’ancien Tiers Monde sont en croissance et ont d’abord des préoccupations de « sortie de pauvreté » voire de développement interne. C’est aussi le cas de la Chine dont l’ objectif est avant tout la « moyenne aisance » de sa population à l’horizon 2030, ce qui fait qu’elle reste finalement une puissance partielle.

On assiste donc aujourd’hui à une sortie massive de la pauvreté, le nombre de personnes en pauvreté absolue étant passé de 43 à 21 %, même s’il y a toujours des inégalités, des perdants et des gagnants. Ces progrès sont spectaculaires tout particulièrement en Chine et en Inde.

Ainsi, malgré des inquiétudes géopolitiques liées à la Chine ou au Cachemire, le premier ministre indien, Modi, rappelait dans un discours ses priorités liées avant tout au développement du quotidien : la fierté d’avoir construit 20 millions de toilettes en 2 ans, et la volonté de développer l’accès à l’électricité.

« La globalisation est une bonne chose mais ne sera plus américaine » dit le chef économique de la Goldman Sachs après les attentats de 2001. De ce constat est né l’acronyme des BRIC qui souligne alors le besoin de rechercher d’autres acteurs possibles de la mondialisation. En 2016, le concept de BRIC(S) est à relativiser et ne satisfait finalement plus que les Russes puisque cela les fait sortir de l’ombre. Aujourd’hui, ce groupe n’a plus d’existence économique malgré des réunions et une banque à Shanghai. L’Inde se diversifie et ne s’entend pas avec la Chine. Le Brésil est en retrait et semble rester dans une économie de cycle (le soja, puis le pétrole…) ; il reste, selon un mot attribué à De Gaulle [mais parfois aussi à Clemenceau] « un pays d’avenir, et qui le restera ». Toutefois, ce groupe est surtout le symptôme d’une émancipation qui se fait sans les Occidentaux. In fine, on en revient à un monde westphalien avec la Chine (une « autocratie éclairée ») qui entend retrouver sa place en assurant le leadership du monde émergent. Avec sa Banque Asiatique d’investissement dans les infrastructures (siège à Shanghai, 65 États membres), la Chine s’émancipe des critères de la Banque mondiale et conteste ainsi l’ordre économique mondial instauré en 1944. Il en va de même avec le programme One Belt One Road ou Maritime Silk Road, c’est-à-dire une route  dans l’océan indien et en Méditerranée orientale qui rappelle la stratégie des points d’appui maritimes stratégiques de la Grande Bretagne au XIXe siècle. En 2016, la lutte contre la piraterie sert de prétexte à la Chine pour l’installation d’une base à Djibouti mais cela entre bien sûr dans le cadre de l’affirmation de la puissance. Ces « nouvelles routes de la soie » (Chine, Asie centrale, Iran, Turquie, Europe occidentale) ont une dimension maritime mais aussi continentale avec la mise en place de corridors. Cette politique est soutenue par Xi Jinping qui renouvelle le message selon lequel la Chine a intérêt au succès de l’UE et se déplace toujours dans les lieux stratégiques pour négocier l’extension du réseau chinois (Pologne, Chine, Serbie,…). C’est un peu le rêve d’un monde à portée de rail, avec même l’ide fantasque d’un pont sur le détroit de Béring. Soutenant toute cette politique, le yuan est devenue la 3e monnaie de réserve du monde.

Comment dès lors qualifier le monde ? Un monde « apolaire » ? En tout cas, il n’est pas encore multipolaire car il n’y a pas assez de concertation. Il serait plutôt polycentrique. Il y a une quête de sens et d’interprétation dans le contexte d’une faiblesse des occidentaux et de la crise du messianisme aux États-Unis qui porterait vers un retour au réalisme politique. On parle moins de valeurs de type wilsonnienne, on défend ses intérêts de manière plus ouverte. Donc un monde structuré autour des intérêts et une montée certaine de l’autoritarisme. Finalement ce qui domine c’est l’impression qu’il n’y a plus d’ordre international et pas encore d’ordre régional (le « monde n’est pas tenu » selon l’expression d’un diplomate).

4. Le repli de la puissance américaine

Il y a une remise en cause de l’ordre établi après 1945. Les États-Unis ne savent plus où ils en sont (interrogation sur la « Pax Americana »), ils sont sans doctrine, sans vision du monde et se recentrent sur leurs intérêts directs. Il ne reste que le « pivot asiatique » qui révèle l’obsession réciproque entre eux et la Chine. Obama a d’ailleurs été élu pour opérer ce retrait des États-Unis, et le résume ainsi : « ce n’est pas parce que nous avons le plus gros marteau que tous les problèmes sont des clous ». Cette remise en cause de l’outil militaire explique l’ouverture avec Cuba et avec l’Iran. Ainsi « le shériff a rendu son étoile. » C’est une tendance de fond qui ne peut toutefois pas s’apparenter à de l’isolationnisme.

5. La question des frontières : une réaffirmation

La frontière reste un élément structurant des identités collectives. On le perçoit bien avec le retour des frontières au sein de l’UE, la délimitation/territorialisation des océans (revendications, extraction pétrolière…), les tensions persistantes (comme le Cachemire), la multiplication des clôtures (6% du kilométrage mondial), les besoins de sécurité. Il existe des « méta-frontières » ou frontières à d’autres échelles : autrefois N/S ; aujourd’hui on assiste au retour de checkpoints dans les pays en crise comme en Syrie et en Irak, démocratie/autoritarisme, Orient/Occident. Notons surtout le retour du concept de zone d’influence comme au XIXe siècle, à l’instar de la Russie avec son « étranger proche » (l’Ukraine), mais aussi de la Chine en Asie du Sud-Est, de l’Iran qui devient une puissance méditerranéenne via son appui de Gaza. Citons également le cas des États-Unis dans les Caraïbes et les pays riverains du Pacifique ou encore de la Turquie (« néo-ottoman ») voire de l’UE avec sa politique d’élargissement et de voisinage.

6. Les enjeux de voisinage

On part de l’exemple du voisinage stratégique de l’Europe qui pose la question suivante : pourquoi autant de crises en même temps ? On peut identifier 75 crises graves dans le monde dont la majorité sont situées entre 3 et 6 heures d’avion de Paris, que ce soit le Sahel, la Libye, le Donbass, etc. Il faut les appréhender en évitant les amalgames, tenir compte des particularités. Ainsi le problème sahélien est lié d’abord au sous-développement, au contentieux historique avec les Touaregs et à des mouvements de trafic plus qu’à des facteurs religieux. On peut aussi se demander si l’espace Sahel-Sahara-Maghreb constitue un seul espace stratégique (c’est-à-dire que le Sahara n’est plus une frontière). En fait 95 % des problèmes sont explicables par des analyses géographiques classiques.

Conclusion

Nous sommes dans un monde turbulent, post westphalien, « désoccidentalisé » où les souverainetés sont néanmoins réaffirmées. Il y a encore des puissances globales ou régionales (États-Unis, Chine, UE), des institutions internationales mais de plus en plus d’acteurs non étatiques émergent d’où une dispersion de la puissance.

L’ordre démocratique est mis à mal. Peut-être est-ce le symptôme de la diminution de l’autorité des États, dans un ordre néo libéral favorisé par les technologies de communication où il y a moins de citoyens et davantage d’individus.

La montée des mouvements nationaux populistes concerne des États prospères qui ne sont pas en crise comme l’Autriche ou la Finlande. La lecture économique et sociale n’est donc pas suffisante. L’ampleur et la rapidité des mutations liées à la globalisation troublent les citoyens qui ne voient pas ou plus leur avenir dans ce monde. Faute de repères, on se retourne vers les frontières, l’identitaire (invention après la défaite de Sedan). Or l’identité est un piège (cf P. Boucheron) !

Car la construction de l’identité qui est valable pour un individu ne l’est pas pour une nation : il faut un projet collectif, là est l’identité. Il faut rappeler la mise en garde de Jean Grenier, professeur de philosophie de Camus, pour qui l’instruction n’était pas toujours synonyme de progrès : « Les masses sont de plus en plus éclairées, mais les lumières sont de plus en plus basses ». Aujourd’hui règnent les bonimenteurs et la TV réalité qui diffusent une géopolitique des passions ; or les explications simples à des questions complexes ont nourri les fascismes. Il faut donc selon M. Foucher diffuser, réinstaller un esprit de raison.

Cédric Ridel et Mathieu Merlet