#FIG2015 Imaginer Tahiti – De l’imaginaire de l’ailleurs aux imaginaires de l’Ici

Imaginer Tahiti – De l’imaginaire de l’ailleurs aux imaginaires de l’Ici

Ce travail est présenté par Nathalie Bernadie-Tahir et Émilie Chevalier. Tahiti est d’abord un imaginaire du nom. Les images qui l’illustrent portent des couleurs toujours attendues : des bleus soutenus, le blanc des plages, le vert d’une nature luxuriante. C’est aussi l’image de la féminité, du sourire, de l’accueil. Bref des stéréotypes marqués qui se sont construits et ont défini « nos » imaginaires. Ce « nos » désigne bien sûr les occidentaux, surtout masculins. Mais attention : il faut savoir décentrer le regard car il existe des imaginaires australiens, polynésiens…et tahitiens ! Il y a donc une pluralité des imaginaires mais aussi des métissages.

La naissance du « tahitisme » est liée aux premiers voyageurs comme Cook et Bougainville (1771). Ils décrivent une nature généreuse, nourricière agréable, comparée au « jardin d’Eden ». Le contexte est toujours rousseauiste et derrière la nature il y a toujours les sociétés. C’est une approche sensorielle qui domine, lorsqu’on décrit un endroit où il fait bon vivre ou une « nouvelle Cythère ». L’île est donc rapidement féminisée, ce qui se retrouve pleinement avec Le mariage de Loti de Pierre Loti en 1880 ou encore les tableaux de Gaugain. Mais en fait ce dernier peint surtout les femmes de son imaginaire.

L’Occident a donc construit un imaginaire de Tahiti, et d’ailleurs on ne parle que de cette île et pas de toutes les autres. Tous ces éléments sont mobilisés car la communication touristique : la « nouvelle Cythère », les femmes de Gaugain s’incarnent dans la Vahiné accueillante. De plus, la distance est posée comme un atout qui renforce la capacité à créer de l’imaginaire. Aujourd’hui toutefois, on insiste davantage sur les lagons, alors que le XVIIIe siècle ne s’intéressait qu’aux îles hautes, c’est-à-dire montagneuses.

Mais il faut aussi considérer les imaginaires de l’Ici, en décentrant le regard. Le propos qui suit repose sur la métaphore de « l’arbre et la pirogue » de Bonnemaison. Pour les Tahitiens les terres et les mers forment un tout, une unicité. D’ailleurs, dans la cosmogonie, les îles sont en fait des poissons. L’ancrage à la terre reste d’ailleurs très fort : le placenta était souvent enterré et les tombes trouvaient souvent leur place aux pieds d’arbres fruitiers. Quant au lagon, ce n’est pas un lieu de détente mais un espace nourricier. De plus, la pirogue induit le mouvement et fait que les îles ne sont pas isolées. L’attachement se fait aussi par le groupe social et les réseaux, et c’est bien la pirogue qui permet les connexions. ceci se manifeste par exemple dans les cartes mentales réalisées par des habitants où plusieurs îles sont en réseau.

Dans les années 1960, en réaction au « tahitisme » occidental, se développe un imaginaire polynésien, basé sur un peuple océanien et explorateur. Les Polynésiens avaient, en autre, mal reçu l’expérience de Thor Heyerdahl consistant à se laisser dériver depuis le Pérou sur un radeau pour prouver que les Plynsiens pouvaient descendre des Indiens d’Amérique. C’est ainsi qu’est renforcé le lien Tahiti-Hawai, notamment en 1976 avec le voyage de la pirogue Hokuléa.

Mais il existe aussi une pluralité des imaginaires à l’intérieur de chaque imaginaire. Ainsi, le monde polynésien se pense aussi en une structure ressemblant à une pieuvre dont le centre n’est pas Tahiti. D’un autre côté, l’atoll de Fakarava se définit comme une civilisation propre ne dépendant pas de Tahiti. Citons également Bora Bora qui a construit un imaginaire propre.

En 2008 un architecte belge présente un projet appelé Lilypad. Il s’agit d’une cité flottante destinée à accueillir des peuples insulaires privés de terre du fait de la montée des eaux. Mais cela pose les Polynésiens comme faibles, fragiles, impuissants face à une nature qui les met à la dérive. Lilypad incarne alors le secours apporté par la science des Européens. Mais les Polynésiens refusent de se penser comme étant à la dérive ! Ainsi, des leaders réunis à Raiatea ont préparé COP21 et adopté un vocabulaire de victime mais en même temps de combativité via l’unité. On a vue ainsi émergé des savoirs et des imaginaires hybridés, comme des panneaux solaires installés sur des pirogues traditionnelles.

#FIG2015 Imaginations cartographiques : rêveries, fictions, allégories

Table ronde Imaginations cartographiques : rêveries, fictions, allégories

Ce compte-rendu est proposé par Julien Meynet, du Lycée français Lyautey de Casablanca

La table ronde proposée, animée par Guillaume Fourmont, rédacteur en chef de la revue Carto et organisée par Henri Desbois a réuni des intervenants provenant d’horizons divers.
Le thème commun aux discussions fut les imaginations cartographiques. Guillaume Fourmont a à ce titre rappelé que les 1ères réalisations cartographiques comportaient une part d’imaginaire importante.
Intervenants :

  • Henri Desbois, maître de conférence, université Paris-Nanterre
  • Barbara Muller, doctorante, université de Strasbourg
  • Olivier Palsky, professeur, Paris1 Panthéon-Sorbonne
  • François Place, auteur

Le 1er intervenant est Henri Desbois. Il s’intéresse à l’imaginaire géographique de la carte. Pourquoi et comment les cartes sont un support imaginaire. Son propos débute à la Renaissance, période où la carte se diffuse grâce à l’imprimerie.
# La rêverie cartographique : voyager sans mettre les pieds hors de son étude. La carte permet le voyage immobile. Ex : Robert Burton, Anatomie de la Mélancolie, 1612

# La carte comme objet esthétique. Ex : Vermeer, l’officier et la jeune fille riant, 1660. Carte au mur, très courant dans les tableaux de Vermeer.

# La carte comme outil figurant l’organisation des connaissances. Dans l’introduction de l’Encyclopédie de 1751, d’Alembert évoque sa tâche, réaliser une cartographie de la connaissance humaine, la carte est alors le symbole de la science.

# A partir du 19ème siècle, la carte est associée au domaine militaire, de nombreux militaires sont peints carte à la main.

# La carte, une dimension romanesque. la carte de l’île au trésor, l’île mystérieuse…

# La carte globale, théâtre du conflit mondial, notamment dans docteur Folamour en 1964.

# La carte dans les séries policières, notamment dans NCIS où une grande partie de l’action se déroule l’écran d’un SIG.

Barbara Muller est la seconde intervenante. Elle propose une synthèse de sa thèse sur la cartographie et les monstres marins à la Renaissance. Elle s’appuie sur divers cartes notamment la carte marine de la Scandinavie de Olaus Magnus en 1539.  Les monstres sont très présents sur les cartes de l’époque, offrant ainsi une dramatisation de l’océan. Elle s’interroge sur les destinataires de ces cartes. Sur les globes et les cartes marines, les monstres marins étaient facturés à la commande, ces cartes étaient souvent assez chères, surtout exposées dans les salons et non utilisées sur les navires. Les spectateurs des cartes sont donc des privilégiés.

Il existe différents types de monstres. Par exemple, la Vacca Marina, vache marine a une poche d’eau sous le museau pour respirer. Chaque créature sur terre a un équivalent marin. On trouve dans ce bestiaire le moine mer, une sorte de calamar qui ressemble étrangement à un évêque. (Conrad Gessner, 1558). Il s’agit là d’une moquerie religieuse. Les monstres marins ont donc des origines très diverses et des fonctions variées :
– indiquer les zones dangereuses
– fonction esthétique, d’ornement
– dissuader de pêcher dans certaines zones
– une façon de critiquer la religion

Olivier Palsky est le 3ème intervenant, il s’intéresse à l’imaginaire cartographique entre fascination et déception.  Il évoque le pouvoir des cartes qui ont la force de créer, de renforcer des lieux. Il s’appuie pour étayer son propos sur l’île de Thomas More qui contient différents éléments de vraisemblance. Olivier Palsky est membre fondateur de l’OUCARPO, il propose différentes idées pour faire des cartes imaginaires :
– faire une carte climatique de l’île au trésor
– carte géologique de la terre du milieu de Tolkien
– carte statistique de l’île Utopie de More
– SIG de Brouzzoufland

Il termine son exposé en insistant sur l’idée que l’imaginaire est inséré dans la connaissance. On représente quelque chose auquel on croit (le paradis terrestre par exemple). La présence de l’imaginaire dans la cartographie est importante du 16 au 19ème siècle, puis disparaît avec la construction d’un monde fini.

François Place, auteur, présente son ouvrage, un atlas imaginaire basé sur l’alphabet intitulé, Atlas des géographes d’Orbae.