La position concurrentielle du port d’Anvers dans la Rangée Nord #FIG2016

La position concurrentielle du port d’Anvers dans la Rangée Nord

Jacques Charlier, Université de Louvain la Neuve (UCL)

Anvers est un port maritime et fluvial, une plate forme multimodale et donc un carrefour. Mais c’est aussi la plus grande plate forme logistique du monde et une zone industrialo-portuaire.

Tous les documents présentés ici ont été aimablement fournis par Jacques Charlier et je l’en remercie vivement.

La Rangée Nord

Nous sommes dans un contexte de croissance généralisée des échanges depuis 50 ans, malgré des accidents ponctuels, croissance qui concerne tous les produits du charbon (X 3 en 20 ans) aux conteneurs (X 5), lequel, selon le litre de l’ouvrage de Marc Levinson est « la boîte qui a rendu la géographie plus petite et l’économie plus grande »

Évolution 1985-2015 des trafics portuaires de la Rangée Nord (Mt )
Évolution 1985-2015 des trafics portuaires de la Rangée Nord (Mt )

La Rangée Nord c’est 16 ports au total, dont 3 mondiaux ; Rotterdam, Hambourg, Anvers. La plupart sont propriétés des villes ou villes-États, sauf en France ou les ports autonomes sont finalement des ports d’État. Entre 1985 et 2015 on est passé de 656 Mt à 1288 Mt. Toutefois les hiérarchies changent. Ainsi c’est Anvers qui connaît la croissance la plus rapide et qui domine les autres ports belges et beaucoup de ports français. Toutefois, Anvers reste à l’ombre de Rotterdam.

L'évolution du trafic de sports des ports (en Mt) de 1985 à 2015, d'après des cartes de Jacques Chartier
L’évolution du trafic des ports (en Mt) de 1985 à 2015, d’après des cartes de Jacques Charlier

Rotterdam creuse l’écart dans les années 1950 en étant capable de faire de tout et de bonne qualité. On y trouve les plus grands stocks pétroliers au monde et le pétrole représente 50 % du trafic du port. Toutefois, le manque de place fait que certains flux se détournent vers Anvers et Amsterdam, même si Rotterdam reste à la tête du système rhénan pour la pénétration du continent.

Rotterdam c’est 11 millions de conteneurs, comme Dubaï. Ce n’est pas le plus grand port occidental, lequel se trouve en Californie avec une capacité de 15 millions.

Mais l’espace manque. Le projet Maasvlakte 1 a été conçu dans les années 1970, d’abord pour accueillir l’industrie allemande. Mais celle-ci reste finalement dans la Ruhr et l’espace créé devient alors une opportunité saisie pour fabriquer un terminal à conteneurs avec Maersk et la compagnie de Dubaï. Aujourd’hui, le projet n°2 vise à doubler l’espace, essentiellement pour des infrastructures logistiques car Rotterdam est en retard dans ce domaine.

Les ports belges

On peut mesurer l’importance du port par :

  • le trafic, en général en poids et donc sans tenir compte de la valeur
  • l’emploi direct (100 000 en Belgique) et induit
  • la valeur ajoutée
Vue d'ensemble des ports belges
Vue d’ensemble des ports belges

Le premier élément est à prendre avec précaution car il ne tient pas compte de la valeur. Ainsi Gand produit plus de valeur ajoutée que Zeebrugge pour un trafic moindre. Toutefois, du fait d’une écluse trop étroite, ce port stagne. En 2021 Gand devrait bénéficier d’une écluse plus grande situés en territoire néerlandais à Terneuzen. Il devrait ainsi confirmer son statut de premier port céréalier de Belgique.

Zeebrugge, port récent qui démarre en 1904, a connu une croissance jusqu’en 2010 mais ensuite Anvers reprend une partie du trafic. Sa croissance initiale date des années 1960 et s’accélère dans les années 1980. Ses créneaux sont :

  • le gaz naturel
  • le roll on/off vers la GB
  • premier port voiturier grâce à l’espace disponible
  • les euro conteneurs

Anvers entend mener une politique dynamique à l’image du nouveau bâtiment de l’autorité portuaire réalisé par l’architecte Zaha Hadid. Grâce au dragage récent de l’Escaut, les plus grands porte-conteneurs y ont désormais accès. Le glissement vers l’aval a aujourd’hui trouvé ses limites car bloqué par le territoire néerlandais. C’est la rive droite qui a d’abord été occupée, puis le développement s’est déployé sur la rive gauche jusqu’à occuper aujourd’hui 0,5 % du territoire belge. La nouvelle écluse rive gauche a été construite par Eiffage avec des éléments construits en Chine…

Anvers a échoué dans un domaine, celui du vrac solide (charbon, minerai de fer) mais surtout du fait de la fin de la demande avec la désindustrialisation de l’arrière pays. En revanche, c’est un succès pour le trafic conteneurs, en entrée comme en sortie avec le fret de retour.

L’extension portuaire pose tout de même la question de l’aménagement de l’espace puisque 7 villages sont annexés, et parmi eux 4 sont détruits pour les aménagements de 3e génération. On construit aujourd’hui des terminaux devant les écluses pour que les plus gros porte conteneurs ne perdent as de temps. Ce projet devrait conduire à la destruction du village de Doel, habité par plus de 1000 personnes.

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Enfin, Anvers se distingue par un point fort original : la logistique co-localisée. Il s’agit d’un lieu de rupture de charge entre conteneurs et palettes, un point central et performant inventé par Anvers.

Ainsi, Anvers est une zone industrielle, une zone logistiques et un nœud avec l’hinterland par la liaison Escaut-Rhin.

NB : Jacques Charlier suggère deux source intéressante, les notes de synthèse de l’isemar, qui proposent en même temps une bonne cartographie, et l’ouvrage de Jean-Paul Rodrigue intitulé Transport system (il est conseillé d’attendre la 4e édition).

L’apocalypse en 30 mn, géographies de la guerre accélérée #FIG2016

L’apocalypse en 30 mn, géographies de la guerre accélérée

Henri Desbois, maître de conférences, Université Paris Ouest Nanterre La Défense

p_20161002_135243_hdr-ageronLe conférencier précise que si l’essentiel des informations concerne les États-Unis, c’est qu’ils mènent une politique de déclassification exploitable. En Russie, c’est beaucoup plus limité et la barrière de la langue est un obstacle.

La vitesse a changé beaucoup de choses dans la guerre, et notamment pour les missiles balistiques intercontinentaux qui seront au centre de la conférence. C’est non seulement l’organisation de l’espace qui est remise en question, mais aussi la manière de se le représenter, notamment par l’impact du GPS qui est un projet issu de l’armée. Aujourd’hui c’est par les drones que la guerre est accélérée.

À partir de 1944, Londres est bombardée par le premier missile balistique à moyenne portée, le V2. Ce missile suit une parabole dont l’apogée se situe à 100 km, ce qui est plus ou moins la limite entre l’atmosphère et l’espace. Le V2 a été une arme de terreur totalement imprécise, causant un effroi accru par le fait qu’on ne l’entend qu’au dernier moment puisque volant entre 2 et 3 fois la vitesse du son. La guerre était donc entrée dans l’ère du supersonique.

Après la guerre, c’est l’arme atomique qui joue un rôle fondamental. Au début des années 1950, les test qui ont lieu dans le désert du Nevada sont des spectacles parfois proposés par des tour operator. Pour l’armée, la priorité en 1945 est de reconstituer le stock des 3 bombes qui viennent d’être utilisée (l’une en test, les deux autres au Japon). Puis, avec le début de la Guerre Froide, la bombe A devient l’outil sur lequel la défense du pays doit reposer, puisque les États-Unis ont moins d’hommes que l’URSS. La production s’organise vite tant en quantité qu’en qualité avec le développement de la bombe thermonucléaire, de 100 à 200 fois plus puissante. C’est une arme de dissuasion qui vise les civils via les villes et les installations industrielles car elle est peu efficace contre les infrastructures militaires. Tout au long de la Guerre Froide, la liste des cibles s’allonge à mesure que l’arsenal se renforce.

Lorsque l’URSS se dote de la bombe à son tour, on passe à l’état d’alerte permanent. C’est dans ce contexte que se met en place le « dôme de chrome« , où concrètement des bombardiers B52 dotés de 2 bombes de 2 Mégatonnes (à Hiroshima la charge était de 20 Kilotonnes) parcourent la Northen chrome dome route en permanence. De 1960 à 1968 il faut en effet vivre avec l’urgence de la réplique, notamment si les aérodromes sont détruits pars des frappes soviétiques. L’avion présente l’avantage d’être peu vulnérable, mais expose deux points faibles en retour : l’endurance des pilotes et la stabilité de l’appareil qui a du être modifiée pour embarquer plus de carburant dans les ailes. D’ailleurs en 1961 un avion se disloque en Caroline du Nord et perd ses deux bombes. Sur 4 systèmes de sécurité, 3 ne fonctionnent pas…

Il faut donc trouver une autre solution et le choix se porte sur le missile balistique avec le projet Atlas. Mais cela reste une arme complexe à manipuler et imprécise : la priorité devient la réduction du « cercle d’erreur probable », qui s’élève tout de même à 6 km au début (selon les hypothèses des spécialistes, les chiffres de l’armée se montrant plus optimistes). Toutefois, le missile présente plusieurs avantages : il est ininterceptable, il a une très grande portée et il est extrêmement rapide avec une vitesse de mach 7. Ainsi, la plupart des cibles peuvent être atteintes en 30 minutes, 90% de son trajet se fait hors atmosphère et il a son apogée à 1200 km. Ainsi, à son entrée dans l’atmosphère, il ne reste que quelques secondes à une minute avant l’impact.

Le concept de front s’en trouve complètement brouillé puisque les notions d’avant et d’arrière disparaissent. On assiste donc à une extension du territoire de la guerre. La menace d’être frappé n’importe quand et n’importe où s’installe et s’accompagne d’une culture de l’apocalypse nucléaire. On se met à vendre et construire des abris, des exercices comme le « duck and cover » (à l’efficacité absurde) sont organisés dans les écoles. Ainsi, l’espace civil est réorganisé en espace militaire.

Ces bouleversements ont accéléré la révolution de la géographie et de la connaissance de la terre. En effet, le missile ne dispose pas de système de guidage à impulsion extérieure (en gros il n’y a pas de télécommande). C’est une sécurité pour éviter qu’il ne soit dévié. Le guidage ne repose que sur des mesures, comme la vitesse et l’accélération par exemple, à l’aide d’un outil de taille réduite mais très complexe. De ce fait, le missile se déplace dans un espace abstrait avec une trajectoire calculée, mais qui nécessite un modélisation mathématique. Le problème est qu’on ne dispose pas de carte précise de l’URSS, qui produit volontairement des cartes inexactes. cela devient un souci quand on ne vise plus que les grandes métropoles mais d’autres cibles plus difficiles à localiser. Les États-Unis développent donc l’espionnage, en terrain ou aérien avec l’avion U2 (mais l’interception d’un pilote fut l’objet d’un grand moment de tension). Hors espace aérien, les Américains développèrent un programme de satellite nommé Discover, qui était en fait un écran de fumée pour dissimuler le programme Corona. Grâce à des satellites, ils envoyèrent des appareils dotés de pellicule 35 mn photographier le territoire soviétique, avant de récupérer les bobines via des filets… Notons que cette habitude d’espionner la terre par des satellites s’est poursuivies : dans les années 1980, on compte 14 ou 15 satellites équivalents à Hubble…mais tournés dans l’autre sens.

Avec cette première révolution qui fournit des clichés d’assez bonnes résolutions mais avec une couverture réduite, on décide de refaire toute la géodésie. L’année géophysique internationale qui se déroula de 1957 à 1958 fut ainsi l’occasion pour l’armée américaine de récolter un nombre important d’informations. La localisation par satellite fut la 3e révolution, liée à l’émergence du sous marin. Cette arme apparut évidente pour ne pas se retrouver désarmé après une première frappe de l’ennemi. Dans les années 1960 la navigation inertielle montre ses limites puisqu’il faut se recalibrer après plusieurs heures. On commence à introduire l’informatique, ce qui nécessite de réduire la taille des ordinateurs de l’époque pour les faire rentrer dans les sous marins.

Aujourd’hui l’accélération emprunte d’autres voies comme le drone qui sert soit au soutien des troupes au sol, soit pour l’assassinat ciblé en terre étrangère (avec une chaîne de commande inférieure à 2 mn une fois le suspect repéré). Il existe une « kill list », signée par le président et valable 60 jours. Le drone vole à environ 5000 pieds, mais est accusé de nombreuses erreurs et de provoquer d’importants dégâts collatéraux. Certains drones sont dotés du système Argus procédant de camera en mosaïque : on peut ainsi cartographier un territoire tout en zoomant quasiment à l’échelle de l’individu. Le rôle des IA se développe, et des programmes travaillent sur la détection des comportements suspects, ouvrant ainsi la voie à des perspectives policières inquiétantes.

 

De la vitesse à la fluidité : un changement de modèle pour les mobilités #FIG2016

De la vitesse à la fluidité : un changement de modèle pour les mobilités.

L’exemple de l’accessibilité aux aéroports.

Pierre Ageron, Docteur, Agrégé de Géographie

p_20161002_135243_hdr-ageronP. Ageron introduit sa conférence avec un rappel de la devise olympique : citius altius fortius. C’est donc la vitesse qui est d’abord mise en avant, qui est passée d’un leitmotiv individuel à un leitmotiv collectif. Mais, dans le sport, la fluidité joue aussi un rôle important, puisqu’au delà de la performance on apprécie souvent « la beauté du geste ». La recherche de la vitesse par les sociétés peut être illustrée par deux moments :

  • l’ouverture à Shanghai du Shanghai Transrapid Siemens, qui assure la liaison entre l’aéroport de Pudong et le centre ville, et propose une vitesse de point commerciale de 431 km/h, au prix d’un investissement de 43 millions d’euros par kilomètre construit.
  • le crash du Concorde en 2000, qui marque un frein à la course à la vitesse et sonne la fin de l’épopée des supersoniques. Ainsi, la vitesse moyenne de l’avion régresse : on est aujourd’hui à Mach 0,9, avec des pointes à 0,92, contre Mach 2 pour le Concorde.

Il semble donc que le « toujours plus vite » olympique soit à l’arrêt, mais ce serait peut-être l’enterrer trop vite alors que la mondialisation est définie par O. Dollfus comme « un processus d’échanges généralisé entre les différentes parties de la planète ». Le monde est donc aujourd’hui une échelle pertinente de l’analyse des phénomènes spatiaux, pour reprendre J. Lévy, et on a assisté à « l’avènement du monde » dit M. Lussault : c’est un espace en soi, un objet social à traiter comme tel, comme une unité.

On peut donc continuer à parcourir le monde, en utilisant le capital spatial inhérent à chaque individu comme le dit J. Ollivro dans L’homme à toutes vitesses. Il y une dilatation de l’espace-temps de par la modulation des modes de transport. La vitesse ne va plus augmenter, mais la problématique sociale l’emporte désormais : il faut accéder à la vitesse qui correspond à son besoin, en gérant le rapport distance/coût. On entre donc avec cette question dans de la géographie sociale.

La problématique porte donc sur la possibilité de parcourir concrètement le monde face aux ruptures de charge auxquelles le voyageur doit faire face. En effet, l’efficacité est devenue une norme et la fluidité émerge et s’impose pour perforer les échelles du local au global.

L’intermodalité – voyageur, un système fluide

La réflexion doit porter sur l’idée que le besoin du voyageur prime. L’intermodalité doit être pensée en système avec une coordination nécessaire des acteurs, ce qui induit des pratiques. Dans la réalité c’est la Suisse qui propose la chaîne transcalaire la plus complète : deux points d’entrée aériens permettent d’accéder à des grandes lignes de chemin de fer qui assurent la liaison avec le maillage local. Mais c’est le résultat d’une planification qui remonte à 15 ans en amont. C’est l’aéroport qui est la porte d’entrée privilégiée et fonctionne comme le pivot des mobilités mondialisées, et ce malgré une infrastructure très contraignante.

Dans un temps de massification des flux aériens, comment valoriser ces nœuds, ces « tiers-espaces » ? Le rôle des gestionnaires d’aéroport est bien sûr fondamental, car il faut donner envie aux voyageurs, ces captifs de l’infrastructure, d’y rester. D’où le rôle très important des lieux de consommation, surnommés le « 6e continent » par le patron de la division aéroport (travel retail) de L’Oréal, constatant qu’il s’agit là d’un marché en explosion. Ces lieux intermédiaires doivent donc être au cœur des stratégies de déplacement, et il faut une composante servicielle et technique. C’est le cas à Hong Kong où l’on peut utiliser la carte Octopus, une carte magnétique sans contact ; à Francfort avec des écrans d’information multimodale (avion/train), qui incite à utiliser ces différents modes de transport ; à Hong Kong encore où l’embarquement des valises est possible en centre-ville via une excroissance de l’infrastructure aéroportuaire (finalement « la ville c’est l’aéroport »).

Les acteurs de la fluidité

Tous ont le même objectif : l’intégration intermodale. Il faut donc créer une convergence d’intérêts des gestionnaires (aéroport, gares, …) avec la profitabilité en perspective. Dans ce cadre, la fluidité devient un argument marketing, une opportunité aussi pour la publicité. Mais le voyageur est-il prêt à en payer le prix ? Peut-être s’il s’agit d’un voyageur « à haute contribution », qui peut s’offrir des services de luxe.

La fluidité, un argument makerting

Cela renforce la compétition entre les aéroport. L’exemple en est donné par ceux de Scandinavie, qui sont souvent de taille similaire, et où celui d’Oslo a basé l’un des point de sa communication sur l’idée qu’il est la porte d’entrée vers cet espace nordique.

Mais une fois en ville la dualité intermodale se heurte parfois à des fossés. Ainsi, à Hong Kong, tout se passe bien entre l’aéroport et la voie ferrée, mais en ville tout semble ensuite désorganisé, notamment pour prendre le bus : pas assez d’indications, peu de personnes parlant anglais, pas d’horaires, de carte,…

Ainsi, la fluidité apparaît comme une nouvelle valeur du monde contemporain. Finalement, ne pas perdre de temps devient pus important que d’en gagner. Il reste à faire fructifier les « tiers espaces ».

Quelles vitesses demain ? #FIG2016 Michel Lussault & Sylvain Allemand

Quelles vitesses demain ?

Michel Lussault, Sylvain Allemand

p_20161001_142232-lussaultallemandPour démarrer ce dialogue qui se déroulera en mode show, S. Allemand attire l’attention sur l’affinité qui peut exister entre M. Lussault et le contenu d’une conférence de P. Boucheron prononcée le matin même. Dans celle ci, P. Boucheron signale qu’à l’époque carolingienne, Aix la Chapelle et Bagdad ne sont pas des villes contemporaines l’une de l’autre, car leurs caractéristiques différentes les rendent asynchrones.

En revanche, le processus de mondialisation qui s’enclenche vraiment après 1945 « rend synchrone tous les espaces et tous les lieux du monde. » Aujourd’hui, on ne peut plus se désynchroniser des autres endroits, nous sommes co-acteurs du même temps. En guise d’illustration, M. Lussault attire notre attention sur le nombre considérable de touristes internationaux : 1,2 milliards. Il s’agit ici de nouveaux ordres de grandeur qui sont, à proprement parler, inimaginables. Il faut rappeler une évidence : faire le monde avec 1,5 milliards d’individus et très différents que lorsqu’on en compte 7. De plus, la numérisation des sociétés s’impose dans tous les comportements sociaux. Dans ce nouveau contexte, Dominique Boullier propose le concept d’« habitèle » pour désigner l’ensemble des objets communicants qui nous entourent et nous connectent. Nous avons ici des outils qui précèdent la réflexion sur l’usage qu’on peut en avoir. Ainsi, le numérique ajoute la simultanéité à la synchronicité.

M. Lussault propose le visionnage de la bande annonce du film Traffic de Jacques Tati, sorti en 1971. C’est un contexte où la société découvre l’importance de l’automobilité, et le début du film nous montre ce nouveau monde où des robots pressent des capots. On découvre la mobilité, l’automobile submerge la France, comme l’illustre, à la fin du film, ce parking géant couvert de voitures. Entre les années 1950 et 1970/80, la société est enthousiasmée par la volonté d’aller plus vite et plus loin. Ainsi à Paris on envisage de construire des autoroutes sur les berges de la Seine. Dans les années 1970 Louis Pradel, maire de Lyon, enthousiasmé par une visite à Chicago, reprend le modèle de l’autoroute urbaine passant notamment par le tunnel de Fourvière. Il faut donc convertir l’automobile à la ville.

 

C’est aussi le temps du développement d’autres modes de transport comme la fusée, l’avion et les premiers projets de TGV. Mais en même temps le film multiplie les entraves au mouvement avec des arrêts imposés par des pannes ou encore les gendarmes et les douaniers. Et Monsieur Hulot apparaît comme un citadin d’une autre époque, même dans sa façon d’être : il n’est jamais synchronisé, même pour serrer la main qui est pourtant un acte spatial de grande importance.

M. Lussault insiste sur le fait que les géographes « devraient utiliser systématiquement le cinéma » car on y trouve des modèles d’organisation de l’espace qui permettent de comprendre en quoi un phénomène fait problème.

En nous montrant une photographie prise dans le métro de Lyon, et qui reprend une image de la composition de la marche par la photographie de la fin du XIXe siècle, prolongée par une œuvre d’artiste, M. Lussault insiste sur la volonté de mesurer les phénomène du monde pour l’analyser et le comprendre. La marche devient elle-même rapide, c’est le début de la transformation du mouvement en culture, prolongé par exemple dans le futurisme italien avec L’Homme en mouvement d’Umberto Boccioni.

Souvent on confond deux gradients :

  • la vitesse, qui varie de 0 à 300 000 km/h. Mais les relations entre les différentes vitesses ne sont pas absolues car il y a toujours des contextes sociaux. Ainsi, on ressent parfois aujourd’hui le besoin de ralentir, mais nos vitesses sont toujours supérieures celles d’autres sociétés. La question « quelle vitesse pour demain ? » n’a finalement pas beaucoup de sens ; en fait, la réponse, pour reprendre F. Raynaud, est bien « ça dépend » !
  • l’accélération car on peut accélérer même quand on est lent. On pourrait citer Accélération de Harmut Rosa mais M. Lussault l’éjecte rapidement en estimant qu’il mélange tout et ne parle pas d’espace. Le sentiment d’accélération peut se déclencher quand nous sommes immobiles, notamment avec les smartphones. Comme le signale Xavier Bernier dans ses travaux sur les passages, un passage est toujours un mélange de vitesse, d’arrêts, etc, comme par exemple quand on prend un avion. Toutefois, ce n’est pas toujours une contrainte, car des mouvements d’occupation comme Occupy ou le mouvement des parapluies de Hong Kong montrent que l’on peut résister en s’assemblant et en s’arrêtant dans des espaces de mobilité. On brise les flux dans des mégapoles mobilitaires pour contester le libéralisme. Cela pourrait remonter aux sit-in des Afro-Américains dans les années 1950 et Rosa Parks a d’abord refuser de bouger, de changer de place dans un bus. Avec ironie, on peut aussi signaler que beaucoup de « mouvements » politique ont pour caractéristique…de s’arrêter.

On voit donc le potentiel politique de l’espace et l’intérêt de jouer la carte de l’arrêt dans un monde de mobilités. d’ailleurs Hartmut Rosa travaille sur un nouvel ouvrage appelé Résonance qui traite de la résonance entre l’être humain et son environnement. M. Lussault semble donc lui laisser une deuxième chance…

Il faut donc toujours spatialiser les problématiques. L’arrêt prend de plus en plus de sens, comme lorsqu’on rencontre quelqu’un en tête à tête au temps des connexions lointaines faciles. Mais de ce fait les arbitrages deviennent difficiles, décisifs et lourds de conséquences. La fatigue, le stress ou la dépression sont souvent liés à la nécessité de faire des choix de plus en plus complexes. Même les migrants sont confrontés à des choix stratégiques. S. Allemand rappelle l’ouvrage de de M. Lussault De la lutte des classes à la lutte des places car il y a toujours un lien entre l’endroit et la position sociale.

Sur la sollicitation de S. Allemand, M. Lussault signale des auteurs qui ont compté pour lui. Isaac Joseph tout d’abord, pour son travail sur les gares, lieux d’interactions sociales et spatiales, où il apparaît que les individus sont plus mitoyens que citoyens. Le territoire du politique semble stable, mais en fait il est marqué par la mitoyenneté du mouvement. François Ascher ensuite, pour son travail sur l’urbanisation généralisée de la société française. Inspiré notamment par John Urry et ses Mobility studies il montre que la mobilité n’est pas un déplacement mais une culture qui engage l’individu à chaque moment de son existence.

On en vient à l’intérêt de M. Lussault pour les scènes (opéra, théâtre, …). Il évoque le ballet créé en 2016 à Lyon par Alessandro Sciarroni et intitulé Turning_Motion Sickness, et qui pousse la situation chorégraphique à l’extrême. Ainsi les danseurs restent d’abord immobiles durant cinq minutes, ce qui est très long, puis se mettent à tourner sur eux-même pendant 25 minutes, ce qui est une expérience physique très intense et difficile. Il ne faut alors pas empiéter sur l’espace de l’autre, ne pas quitter son quant à soi spatial. Tout ceci a un lien fort avec l’émotion car la spatialité est une expérience.

Ce dialogue se conclut sur l’idée que la diffusion des pratiques sociales s’accélère, notamment du fait des smartphones.

Au delà de la vitesse. Quel système de transport pour demain ? #FIG2016

Au delà de la vitesse. Quel système de transport pour demain ?

Laurent Chapelon, Université P. Valéry Montpellier 3

p_20161002_111755-chapelonLa conférence commence avec une précaution : il ne s’agit pas ici de faire de la prospective mais de réfléchir sur ce qui existe et certaines expérimentations.

Il y a deux façons de voir le transport. C’est d’abord une ressource, car on se déplace pour réaliser des activités, et qui rend le monde entier accessible. Mais c’est aussi une contrainte, en temps comme en argent. On dispose d’un capital temps de 1440 mn par jour. En France, le temps est utilisé de cette manière :

  • repas, sommeil, toilette : 720 mn
  • trajet A-R au travail : 50 mn (mais 1/3 de ces trajet dépasse les 60 mn)

Le transport représente donc une part assez faible. La voiture domine encore largement :

  • voiture : 74 %
  • TC : 11 %
  • marche : 7 %
  • moto : 4 %
  • Vélo : 3 %

Au delà de la vitesse…la performance territoriale des réseaux de transport.

Même si l’usager est en quête d’instantané, la vitesse reste un critère parmi d’autres. C’est aussi une évolution assez récente : de la préhistoire au XIXe siècle, le rapport temps-espace change peu avec une marche à 1 m/s. Les animaux, eux, entrent dans une fourchette qui va de 3 à 8 km/h. Mais aujourd’hui, le rapport marche/TGV subit un facteur de X100, alors que ce facteur n’était que X2 avec le cheval. La quête de la vitesse est illustrée par la compétition : 574 km/h pour le TGV en 2007, et 603 km/h pour le Maglev en 2015 (ce ne sont pas des vitesses d’exploitation commerciale).

Toutefois, au delà d’une vitesse mesurée, d’autres paramètres entrent en compte dans la gestion des transports :

  • l’ubiquité : c’est être présent partout en de nombreux lieux. Cela traduit en fait l’accessibilité des réseaux, la ouverture spatiale, la finesse de la desserte.
  • l’immédiateté de l’accès aux services : cela explique le succès de la voiture car l’attente est vécue comme une contrainte dans une société marquée par l’ »immédiatisme ».
  • l’amplitude horaire du service : c’est la disponibilité du service et là encore l’auto a l’avantage. Des politiques différentes peuvent être menées : À Londres, un service de nuit est assuré dans le métro depuis juillet 2016 avec une fréquence de 10mn ; en France, 4 lignes intercités circulant de nuit pourraient fermer
  • le confort : c’est le plus souvent la possibilité de travailler qui est mise en avant, afin de valoriser le temps. Pour Laurent Chapelon, ce point donne avantage au TGV sur l’avion.
  • le coût : le site de l’ademe donne des exemples montrant par exemple que l’usage d’une voiture revient très cher sur l’ensemble d’une vie

Un réseau idéal serait donc un réseau accessible partout avec un déplacement instantané vers tout autre lieu de la planète.

Quel système pour demain ?

La question revient à s’interroger sur les leviers d’action pour une mobilité durable. Comme signalé en introduction, la prospective reste difficile. Mais on peut réfléchir sur le contexte, notamment avec des préoccupations environnementales. C’est important car en France le transport représente :

  • 32 % de la consommation d’énergie finale
  • 70 % de la consommation des produits pétroliers
  • 28 % des gaz à effet de serre (dont 92% pour la route)

À l’échelle mondiale, la route consomme 79% de la consommation d’énergie, qu’elle soit fossile ou électrique. Ces chiffrent montrent qu’il faut s’interroger sur la place de l’automobile.

Renforcer les alternatives

L’offre en transports en commun doit se développer, en passant d’une logique de ligne à une logique de réseau. Ces nouvelles perspectives doivent s’accompagner d’une réflexion sur les nouveaux rythmes de vie. Spatialement, les transports en commun concernent autant l’espace urbain que le péri-urbain ou l’automobile est reine. Mais c’est très difficile, car cet espace a justement été aménagé pour la voiture. On peut envisager de donner de la flexibilité avec le concept de transport occasionnel pour faire face aux coûts, bref développer le Transport à la demande (TàD).

Le développement de l’intermodalité

L’intermodalité intègre tant les différents modes de transport que l’ensemble des échelles, du local à l’international. L’exemple du tramway qui relie la gare TGV de Lyon à l’aéroport de Satolas en est un bon exemple. Mais il se heurte à des problèmes de coût car la fréquentation fait défaut. Il faut donc envisager :

  • de systématiser les pôles d’échanges autour des grands équipements de transport : aéroports, gare ferroviaires et routières.
  • d’intégrer dans les pôles multimodaux d’autres services comme les commerces.
  • de mailler les entrées de ville en parcs-relais pour inciter à laisser sa voiture à la limite du périurbain.

Mais il existe des seuils de basculement qui font que certaines villes ré-ouvrent leur centre à la circulation automobile pour dynamiser les commerces. Cette politique est un recul !

La place du vélo

Ce moyen de transport occupe une place très faible en France avec seulement 3 % du total. Il existe donc une marge de progression très importante, mais on se heurte à une question pourtant simple : comment intégrer le vélo aux transports en commun ? Des tentatives existent, comme à Montreal, mais on semble se heurter à une difficulté technique importante liée au ralentissement induit par la manipulation et à des questions de sécurité.

La billetterie

Enfin, le développement du transport intermodal passe nécessairement par un système de billetterie attractive, proposant un titre de transport pour plusieurs modes de transport, comme la carte Octopus à Hong Kong.