Quelles vitesses demain ? #FIG2016 Michel Lussault & Sylvain Allemand

Quelles vitesses demain ?

Michel Lussault, Sylvain Allemand

p_20161001_142232-lussaultallemandPour démarrer ce dialogue qui se déroulera en mode show, S. Allemand attire l’attention sur l’affinité qui peut exister entre M. Lussault et le contenu d’une conférence de P. Boucheron prononcée le matin même. Dans celle ci, P. Boucheron signale qu’à l’époque carolingienne, Aix la Chapelle et Bagdad ne sont pas des villes contemporaines l’une de l’autre, car leurs caractéristiques différentes les rendent asynchrones.

En revanche, le processus de mondialisation qui s’enclenche vraiment après 1945 « rend synchrone tous les espaces et tous les lieux du monde. » Aujourd’hui, on ne peut plus se désynchroniser des autres endroits, nous sommes co-acteurs du même temps. En guise d’illustration, M. Lussault attire notre attention sur le nombre considérable de touristes internationaux : 1,2 milliards. Il s’agit ici de nouveaux ordres de grandeur qui sont, à proprement parler, inimaginables. Il faut rappeler une évidence : faire le monde avec 1,5 milliards d’individus et très différents que lorsqu’on en compte 7. De plus, la numérisation des sociétés s’impose dans tous les comportements sociaux. Dans ce nouveau contexte, Dominique Boullier propose le concept d’« habitèle » pour désigner l’ensemble des objets communicants qui nous entourent et nous connectent. Nous avons ici des outils qui précèdent la réflexion sur l’usage qu’on peut en avoir. Ainsi, le numérique ajoute la simultanéité à la synchronicité.

M. Lussault propose le visionnage de la bande annonce du film Traffic de Jacques Tati, sorti en 1971. C’est un contexte où la société découvre l’importance de l’automobilité, et le début du film nous montre ce nouveau monde où des robots pressent des capots. On découvre la mobilité, l’automobile submerge la France, comme l’illustre, à la fin du film, ce parking géant couvert de voitures. Entre les années 1950 et 1970/80, la société est enthousiasmée par la volonté d’aller plus vite et plus loin. Ainsi à Paris on envisage de construire des autoroutes sur les berges de la Seine. Dans les années 1970 Louis Pradel, maire de Lyon, enthousiasmé par une visite à Chicago, reprend le modèle de l’autoroute urbaine passant notamment par le tunnel de Fourvière. Il faut donc convertir l’automobile à la ville.

 

C’est aussi le temps du développement d’autres modes de transport comme la fusée, l’avion et les premiers projets de TGV. Mais en même temps le film multiplie les entraves au mouvement avec des arrêts imposés par des pannes ou encore les gendarmes et les douaniers. Et Monsieur Hulot apparaît comme un citadin d’une autre époque, même dans sa façon d’être : il n’est jamais synchronisé, même pour serrer la main qui est pourtant un acte spatial de grande importance.

M. Lussault insiste sur le fait que les géographes « devraient utiliser systématiquement le cinéma » car on y trouve des modèles d’organisation de l’espace qui permettent de comprendre en quoi un phénomène fait problème.

En nous montrant une photographie prise dans le métro de Lyon, et qui reprend une image de la composition de la marche par la photographie de la fin du XIXe siècle, prolongée par une œuvre d’artiste, M. Lussault insiste sur la volonté de mesurer les phénomène du monde pour l’analyser et le comprendre. La marche devient elle-même rapide, c’est le début de la transformation du mouvement en culture, prolongé par exemple dans le futurisme italien avec L’Homme en mouvement d’Umberto Boccioni.

Souvent on confond deux gradients :

  • la vitesse, qui varie de 0 à 300 000 km/h. Mais les relations entre les différentes vitesses ne sont pas absolues car il y a toujours des contextes sociaux. Ainsi, on ressent parfois aujourd’hui le besoin de ralentir, mais nos vitesses sont toujours supérieures celles d’autres sociétés. La question « quelle vitesse pour demain ? » n’a finalement pas beaucoup de sens ; en fait, la réponse, pour reprendre F. Raynaud, est bien « ça dépend » !
  • l’accélération car on peut accélérer même quand on est lent. On pourrait citer Accélération de Harmut Rosa mais M. Lussault l’éjecte rapidement en estimant qu’il mélange tout et ne parle pas d’espace. Le sentiment d’accélération peut se déclencher quand nous sommes immobiles, notamment avec les smartphones. Comme le signale Xavier Bernier dans ses travaux sur les passages, un passage est toujours un mélange de vitesse, d’arrêts, etc, comme par exemple quand on prend un avion. Toutefois, ce n’est pas toujours une contrainte, car des mouvements d’occupation comme Occupy ou le mouvement des parapluies de Hong Kong montrent que l’on peut résister en s’assemblant et en s’arrêtant dans des espaces de mobilité. On brise les flux dans des mégapoles mobilitaires pour contester le libéralisme. Cela pourrait remonter aux sit-in des Afro-Américains dans les années 1950 et Rosa Parks a d’abord refuser de bouger, de changer de place dans un bus. Avec ironie, on peut aussi signaler que beaucoup de « mouvements » politique ont pour caractéristique…de s’arrêter.

On voit donc le potentiel politique de l’espace et l’intérêt de jouer la carte de l’arrêt dans un monde de mobilités. d’ailleurs Hartmut Rosa travaille sur un nouvel ouvrage appelé Résonance qui traite de la résonance entre l’être humain et son environnement. M. Lussault semble donc lui laisser une deuxième chance…

Il faut donc toujours spatialiser les problématiques. L’arrêt prend de plus en plus de sens, comme lorsqu’on rencontre quelqu’un en tête à tête au temps des connexions lointaines faciles. Mais de ce fait les arbitrages deviennent difficiles, décisifs et lourds de conséquences. La fatigue, le stress ou la dépression sont souvent liés à la nécessité de faire des choix de plus en plus complexes. Même les migrants sont confrontés à des choix stratégiques. S. Allemand rappelle l’ouvrage de de M. Lussault De la lutte des classes à la lutte des places car il y a toujours un lien entre l’endroit et la position sociale.

Sur la sollicitation de S. Allemand, M. Lussault signale des auteurs qui ont compté pour lui. Isaac Joseph tout d’abord, pour son travail sur les gares, lieux d’interactions sociales et spatiales, où il apparaît que les individus sont plus mitoyens que citoyens. Le territoire du politique semble stable, mais en fait il est marqué par la mitoyenneté du mouvement. François Ascher ensuite, pour son travail sur l’urbanisation généralisée de la société française. Inspiré notamment par John Urry et ses Mobility studies il montre que la mobilité n’est pas un déplacement mais une culture qui engage l’individu à chaque moment de son existence.

On en vient à l’intérêt de M. Lussault pour les scènes (opéra, théâtre, …). Il évoque le ballet créé en 2016 à Lyon par Alessandro Sciarroni et intitulé Turning_Motion Sickness, et qui pousse la situation chorégraphique à l’extrême. Ainsi les danseurs restent d’abord immobiles durant cinq minutes, ce qui est très long, puis se mettent à tourner sur eux-même pendant 25 minutes, ce qui est une expérience physique très intense et difficile. Il ne faut alors pas empiéter sur l’espace de l’autre, ne pas quitter son quant à soi spatial. Tout ceci a un lien fort avec l’émotion car la spatialité est une expérience.

Ce dialogue se conclut sur l’idée que la diffusion des pratiques sociales s’accélère, notamment du fait des smartphones.

Au delà de la vitesse. Quel système de transport pour demain ? #FIG2016

Au delà de la vitesse. Quel système de transport pour demain ?

Laurent Chapelon, Université P. Valéry Montpellier 3

p_20161002_111755-chapelonLa conférence commence avec une précaution : il ne s’agit pas ici de faire de la prospective mais de réfléchir sur ce qui existe et certaines expérimentations.

Il y a deux façons de voir le transport. C’est d’abord une ressource, car on se déplace pour réaliser des activités, et qui rend le monde entier accessible. Mais c’est aussi une contrainte, en temps comme en argent. On dispose d’un capital temps de 1440 mn par jour. En France, le temps est utilisé de cette manière :

  • repas, sommeil, toilette : 720 mn
  • trajet A-R au travail : 50 mn (mais 1/3 de ces trajet dépasse les 60 mn)

Le transport représente donc une part assez faible. La voiture domine encore largement :

  • voiture : 74 %
  • TC : 11 %
  • marche : 7 %
  • moto : 4 %
  • Vélo : 3 %

Au delà de la vitesse…la performance territoriale des réseaux de transport.

Même si l’usager est en quête d’instantané, la vitesse reste un critère parmi d’autres. C’est aussi une évolution assez récente : de la préhistoire au XIXe siècle, le rapport temps-espace change peu avec une marche à 1 m/s. Les animaux, eux, entrent dans une fourchette qui va de 3 à 8 km/h. Mais aujourd’hui, le rapport marche/TGV subit un facteur de X100, alors que ce facteur n’était que X2 avec le cheval. La quête de la vitesse est illustrée par la compétition : 574 km/h pour le TGV en 2007, et 603 km/h pour le Maglev en 2015 (ce ne sont pas des vitesses d’exploitation commerciale).

Toutefois, au delà d’une vitesse mesurée, d’autres paramètres entrent en compte dans la gestion des transports :

  • l’ubiquité : c’est être présent partout en de nombreux lieux. Cela traduit en fait l’accessibilité des réseaux, la ouverture spatiale, la finesse de la desserte.
  • l’immédiateté de l’accès aux services : cela explique le succès de la voiture car l’attente est vécue comme une contrainte dans une société marquée par l’ »immédiatisme ».
  • l’amplitude horaire du service : c’est la disponibilité du service et là encore l’auto a l’avantage. Des politiques différentes peuvent être menées : À Londres, un service de nuit est assuré dans le métro depuis juillet 2016 avec une fréquence de 10mn ; en France, 4 lignes intercités circulant de nuit pourraient fermer
  • le confort : c’est le plus souvent la possibilité de travailler qui est mise en avant, afin de valoriser le temps. Pour Laurent Chapelon, ce point donne avantage au TGV sur l’avion.
  • le coût : le site de l’ademe donne des exemples montrant par exemple que l’usage d’une voiture revient très cher sur l’ensemble d’une vie

Un réseau idéal serait donc un réseau accessible partout avec un déplacement instantané vers tout autre lieu de la planète.

Quel système pour demain ?

La question revient à s’interroger sur les leviers d’action pour une mobilité durable. Comme signalé en introduction, la prospective reste difficile. Mais on peut réfléchir sur le contexte, notamment avec des préoccupations environnementales. C’est important car en France le transport représente :

  • 32 % de la consommation d’énergie finale
  • 70 % de la consommation des produits pétroliers
  • 28 % des gaz à effet de serre (dont 92% pour la route)

À l’échelle mondiale, la route consomme 79% de la consommation d’énergie, qu’elle soit fossile ou électrique. Ces chiffrent montrent qu’il faut s’interroger sur la place de l’automobile.

Renforcer les alternatives

L’offre en transports en commun doit se développer, en passant d’une logique de ligne à une logique de réseau. Ces nouvelles perspectives doivent s’accompagner d’une réflexion sur les nouveaux rythmes de vie. Spatialement, les transports en commun concernent autant l’espace urbain que le péri-urbain ou l’automobile est reine. Mais c’est très difficile, car cet espace a justement été aménagé pour la voiture. On peut envisager de donner de la flexibilité avec le concept de transport occasionnel pour faire face aux coûts, bref développer le Transport à la demande (TàD).

Le développement de l’intermodalité

L’intermodalité intègre tant les différents modes de transport que l’ensemble des échelles, du local à l’international. L’exemple du tramway qui relie la gare TGV de Lyon à l’aéroport de Satolas en est un bon exemple. Mais il se heurte à des problèmes de coût car la fréquentation fait défaut. Il faut donc envisager :

  • de systématiser les pôles d’échanges autour des grands équipements de transport : aéroports, gare ferroviaires et routières.
  • d’intégrer dans les pôles multimodaux d’autres services comme les commerces.
  • de mailler les entrées de ville en parcs-relais pour inciter à laisser sa voiture à la limite du périurbain.

Mais il existe des seuils de basculement qui font que certaines villes ré-ouvrent leur centre à la circulation automobile pour dynamiser les commerces. Cette politique est un recul !

La place du vélo

Ce moyen de transport occupe une place très faible en France avec seulement 3 % du total. Il existe donc une marge de progression très importante, mais on se heurte à une question pourtant simple : comment intégrer le vélo aux transports en commun ? Des tentatives existent, comme à Montreal, mais on semble se heurter à une difficulté technique importante liée au ralentissement induit par la manipulation et à des questions de sécurité.

La billetterie

Enfin, le développement du transport intermodal passe nécessairement par un système de billetterie attractive, proposant un titre de transport pour plusieurs modes de transport, comme la carte Octopus à Hong Kong.