Alix Desforges (@Cyberspace_geop) commence par rappeler l’explosion récente du nombre d’internautes : de quelques milliers au tout début des années 1990 à plus de 3 milliards aujourd’hui avec l’émergence de l’Asie. Le réseau renforce son omniprésence particulièrement avec l’Internet des objets. Internet a suscité de nombreux espoirs et particulièrement la promesse d’un monde pacifié, d’une société égalitaire soit le village globale de Mac Luhan annoncé en 1964. Certains y ont même vu la fin de la géographie du fait des échanges dématérialisés et immédiats abolissant l’espace. Toutefois on remarquera que le vocabulaire reste pourtant très géographique et notamment maritime : on surfe, on navigue, il y a des passerelles… Mais ce n’est pas un territoire, une étendue aménagée par les sociétés humaines au sens des définitions de Brunet (1987) et Lacoste (2003).
Le cyberespace reste un territoire imaginaire et fait l’objet de conflits pour son contrôle. Le terme trouve son origine en 1982 avec l’œuvre de Gibson qui invente ce mot dans un monde de science-fiction violent, avec un contexte de lutte contre des États et compagnies totalitaires. On retrouve et imaginaire dans des films comme Tron ou Matrix. En fait c’est la cybernétique, créé en 1947 qui a inspiré Gibson. Ce terme est fondé sur « pilote de navire » : kubernêtês.
Toutefois le cyberespace ne fait pas l’objet d’une définition consensuelle : cela dépend de qui l’utilise et à quelles fins. De même, les représentations qu’il suscite sont contradictoires. Ainsi, au début des années 1990 il s’impose en référence à un monde libertaire, pacifié, dans territoire virtuel indépendant, souverain, échappant aux lois des États. En 1996 John Perry Barlow (@JPBarlow), fondateur de l’EFF, propose une Déclaration d’indépendance du cyberespace. On voit dans ce cas précis l’influence de l’histoire américaine avec l’importance de la liberté d’expression comme dans la Constitution des États-Unis, des allusions aux thèses de Locke sur la légitimité du gouvernement, à la tyrannie comme durant la guerre d’indépendance. Les racines profondes remontent aux campus californiens contestataires des années 60/70. Ces influences se retrouvent dans l’architecture du réseau, pensée comme décentralisée et sans processus de contrôle.
Le terme tombe ensuite en désuétude mais est repris au début des années 2000 par les États qui veulent y imposer leurs loi, leur souveraineté. On voit émerger la représentation d’un territoire à contrôler, à conquérir. Les rivalité s’expriment par les attaques informatiques, en incluant celles des Anonymous. Il s’agit donc de conflits géopolitiques aux même titre que sur des territoires classiques. On observe alors la multiplication des conflits dans plusieurs buts : protéger un régime, question de la régulation, conflits économiques et sociétaux. Il est devenu un outil des rivalités de pouvoir. On assiste même à une prolifération des attaques depuis milieu des années 2000 : espionnage économique et politique, déstabilisation. Voir à ce titre les attaques pro djihadistes contre des sites français en janvier 2015 ; contre-attaque notamment par Anonymous ; le ver stuxnet en 2011 ; contre l’Estonie en 2007 (par une attaque de type DoS) car c’est pays très connecté et ce fut une prise de conscience, mais cela faisait suite à des manifestations de la communauté russophone contre le déplacement d’une statue à la mémoire des soldats de l’armée rouge.
Les États cherchent donc à s’approprier le cyberespace au nom de la sécurité nationale. En France, la cybersécurité est placé au même niveau (1er cercle) que la dissuasion nucléaire ; c’est le 5e domaine de l’armée (avec l’air, la terre, la mer et l’espace). Une « Attaque d’ampleur » (mais ce terme reste à définir) pourrait être considéré comme un acte de guerre. Ce sont des stratégies de sanctuarisation avec le concept de « souveraineté numérique » en France (P. Bellander, 2014).
Note personnelle : deux articles sont accessibles en ligne, ici et là.