Après la table ronde inaugurale, la conférence de Michel Lussault était intitulée Quelle place pour l’imaginaire géographique ?
En introduction à son diaporama, M. Lussault cite Gaston Bachelard : « Notre appartenance au monde des images est plus fort, plus constitutif de notre être que notre appartenance au monde des idées ».
La géographie apporte des éclairages aux autres sciences sociales, avec sa sensibilité spatiale, et finalement peu de disciplines s’intéressent vraiment au spatial. Si on cite Bachelard, c’est que l’on aborde l’image non pour illustrer la géographie, mais pour la subvertir, la retourner : il faut reconsidérer la question de la spatialité. L’approche par l’image n’enrichit pas la géographie, elle la change ! L’image est en effet une autre façon de considérer la géographie : c’est documenter le monde social, proposer des solutions au politique. Faire de la géographe, c’est interroger le champ politique et donc s’y engager. Il faut considérer ce que la géographie peut déverrouiller du champ politique et c’est quelque chose qu »on peut faire passer aux élèves, c’est-à-dire faire de la géographie pour se réapproprier une relation politique ou sociale; et la source de cette démarche est l’interrogation des images.
Une image est projetée : il s’agit de la Terre photographiée pour la première fois en 1972 dans son entièreté depuis l’espace (NASA). Elle est surnommée Blue marble. C’est bien sûr une image analogique, et non une des recompositions numériques auxquelles nous sommes habituées. Cette image bouleverse la représentation du monde : elle est centrée sur l’Afrique, on y voit le pôle sud, et c’est une nouveauté dans les représentations cartographiques aux États-Unis. Elle en devient donc une icône qui parle d’elle même. Mais il faut se méfier de l’illusion iconique dit Jacques Rancière, car montrer une image peut faire croire que tout est réglé…alors qu’en fait c’est le trouble qui commence. Donc, que représente cette image ? L’image, dit Louis Marin, est « l’énonciation puissante d’une absence ». Elle a donc un rapport à la disparition, une absence liée à la mort ? L’image montre quelque chose qui disparaît. En 1972, c’est la fin de l’image d’une terre homogène, régulée.
D’autres images au contraire ne représentent rien. La diapo suivant propose une image du projet de rénovation du quartier du Heysel à Bruxelles. Nous sommes là face à un traitement iconographique d’une mémoire meurtrie ; or une image de projet urbain ne représente qu’une virtualité, quelque chose qui n’a pas d’existence. L’image est un dispositif de « monstration » (Louis Marin), de quelque chose qui n’exista pas en tant que tel. Avant la photographie de la NASA en 1972, on dispose de cartes, de globes, mais cette image de la Terre présente (et non représente !) une réalité nouvelle, qui fait apparaître des réalités spatiales. Il faut souvent un passage par l’image pour qu’un espace devienne un espace social. Et ce n’est pas un espace individuel car il n’existe pas de territoire individuel. Certes beaucoup d’individus documentent, notamment par des images, leur spatialité (via des applications sur smartphones), mais le partage de leur spatialité individuel sur les réseaux sociaux fabrique en fait de l’espace social.
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