#FIG2015 L’information géographique numérique : au-delà des cartes, de nouvelles spatialités ?

L’information géographique numérique : au-delà des cartes, de nouvelles spatialités ?
Conférence de Thierry Joliveau (enseignant-chercheur en géographie à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne)

Ce compte-rendu est proposé par Mathieu Merlet, du Lycée français Lyautey de Casablanca

Point de départ évoqué : quels sont les usages numériques actuels ?
Réponse du conférencier : il y a 10 ans, la réponse aurait été technique ; aujourd’hui, c’est bien différent et cela nécessite une réflexion plus globale. En effet, depuis 2005, les choses ont bougé avec le développement rapide des applications grand public, des téléphones « intelligents » qui peuvent se connecter à internet (3G/4G), la bulle des réseaux sociaux.
Donc, une information géographique au cœur d’un nombre très important d’usages.

1. Une explosion d’usages personnels

Thierry Joliveau commence par une définition rapide du métier de géomaticien (une personne qui exploite un système d’information géographique…), puis il dresse un panorama des usages de l’information géo-numérique :

  • La cartographie

C’est l’usage le plus courant, mais une interface superficielle.
Ex : Google Maps (on n’a jamais consulté autant les cartes…) qui est un fournisseur privé. Derrière, il y a beaucoup de choses. C’est le premier « Mashup » (site web ou application dont le contenu provient de la combinaison de plusieurs sources d’information) par accident. Voir aussi My Maps qui permet de partager des informations.
Ex : Géoportail en France qui est une réponse institutionnelle à Google Maps et qui représente un effort de l’Etat.
Ex : OpenStreetMap qui est « libre de droit », qui n’est pas une carte étatique mais sociale avec par exemple la mobilisation des utilisateurs pour établir la carte d’Haïti en 3/4 jours.

  • Partager de l’information sur les lieux

Le conférencier passe en revue les différentes application qui permettent de géolocaliser, partager des informations :
Waze : une application, indépendante puis rachetée par Google,  qui partage avec les gens en direct des informations sur des accidents, des problèmes de circulation, etc.
Dismoioù ou Yelp aux Etats-Unis :  pour chercher des restaurants ou s’en faire recommander.
Foursquare : un média social qui permet à l’utilisateur d’indiquer où il se trouve…un peu en retrait.
Le célèbre TripAdvisor pour comparer les prix
Olympse  : quand on est en retard, on prévient les personnes de la distance qu’il reste à parcourir et du lieu où l’on se trouve. Une application aussi utilisée par les parents pour surveiller le trajet de leurs enfants.
Twitter : les tweets sont géolocalisés. Il existe ainsi une carte mondiale réalisée par un chercheur. Attention : si l’on prend le cas des tweets du vendredi à Saint Dié, on s’aperçoit que les géotags laissés ne proviennent pas de ceux qui utilisent le plus régulièrement Twitter.
Le conférencier revient aussi sur le cas de la fameuse carte « Je suis Charlie ». Voir à ce sujet l’article de Thierry Joliveau.


Carticipe : une application où l’on demande aux gens comment ça se passe dans leur ville, d’émettre des propositions sur l’emplacement d’un futur aménagement urbain (en 3D). On discute ici directement sur un environnement virtuel. Cela fonctionne à Montréal, mais c’est plus compliqué à mettre en place en France.
Ushahidi : une application qui porte ici sur le risque. Voilà ce qui se passe, ce que j’ai repéré. Un exemple d’utilisation est proposé avec la surveillance des bureaux de votes en Afrique pour vérifier le bon déroulement des élections.
GRC Map : en fait du géocaching, c’est-à-dire des individus qui placent des caches à des endroits sur une carte numérique. Le but est d’aller ensuite sur le terrain pour faire une « chasse au trésor ». C’est aussi un moyen de valoriser des lieux touristiques.
Ingress : c’est un jeu en ligne proposé par Google qui consiste à se rendre sur le terrain (en équipes) pour attaquer des « portails » virtuels défendus par deux camps opposés : les verts et les bleus. En fait, ces portails sont le plus souvent des lieux de villes…Ce jeu serait très intéressant du point de vue sociologique.
Voyager dans le temps : des applications qui proposent de superposer des cartes anciennes sur des interfaces « modernes ».
Possibilité aussi de superposer des cartes anciennes géolocalisées sur Google Street View.
Voyager dans des textes littéraires : on navigue à la fois sur une carte et le texte d’un auteur comme par exemple les lieux cités dans les livres de Rabelais.
Voyager dans les films : il s’agit là d’intégrer des extraits de films sur des lieux où ils ont été tournés. On peut même imaginer de rejouer des scènes de films dans une sorte de réalité augmentée.

2. Que penser de ces usages d’un point de vue géographique ?
Il existe plusieurs conceptualisations de ces usages :

  •     La substitution

L’idée d’un cyberespace avec le fameux village planétaire de McLuhan : avec l’informatique, on va vivre dans un monde numérique interconnecté, virtuel, dans lequel il n’y aurait plus d’espace, d’agglomérations…. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que cette idée ne fonctionne pas vraiment. C’est même plutôt le contraire puisque l’on assiste à un renforcement des lieux centraux avec la concentration des réseaux dans les métropoles (« surmétropolisation »).
Par ailleurs, les espaces s’ouvrent de plus en plus avec ici l’exemple de la Chine qui profite d’internet pour accroître son pouvoir, sa place dans la hiérarchie mondiale.

  •     Une approche spécifique

Internet est un espace : l’information numérique forme un espace qui n’est pas topographique ; c’est un espace logique à comprendre pour lui même.
Notion de cyberterritoire avec des pouvoirs très forts qui se jouent dans ce territoire (approche géopolitique). Exemple de la Chine qui a développé ces dernières années des « équivalents » chinois de Google, Twitter, etc…pour des raisons à la fois politiques, techniques et économiques (posséder son propre modèle numérique dans une logique de cyberterritoire).

  •    La co-évolution (le plus intéressant pour les géographes)

Les espaces numériques sont de fait entrelacés avec les espaces physiques. On parle de « Digiplace » (voir l’article de Matthew A Zook et Mark Graham). De même, les espaces physiques sont formés par le code. Ex : les aéroports (voir Code/Space By Rob Kitchin and Martin Dodge).

  •    Le géoweb

C’est la manière dont les lieux sont présents dans le physique et le numérique.Ex : Digiplace qui consiste à mettre sur un fond de carte l’image qui se passe sur le web.
Ex : « Local and Tourists » , un projet de Eric Ficher qui a cartographié les photographies publiées par les touristes à Paris et dans d’autres métropoles : ici  ou .
Ex : sur Google Maps, une cartographie des gens qui parlent des différentes religions.
>Ex : une « géographie de la haine » qui est une carte américaine de la répartition des tweets racistes.
Ex : carte des éditions sur Wikipédia où l’on remarque que les gens qui écrivent le plus sur des lieux situés au Nord se localisent au Sud et inversement.
Une question est alors posée : le géoweb est-il une technologie de la spatialité/sociabilité ?Les modes de sociabilité vont certainement être changés par ces pratiques. Thierry Joliveau nous renvoie à la définition de la spatialité selon Augustin Berque, Michel Lussault….idée d’un mélange des lieux avec ces outils numériques.
De nouveaux modes de perception et de partage sont/seront aussi induits avec le développement des smartphones. Mais le conférencier précise que c’est « long » et qu’il faut croiser l’anthropologie, le géographie pour appréhender ces phénomènes.

Les « matrices ortophoniques » de S. Vial ou l’exemple donné par Thierry Joliveau qui concerne le GPS.

Conclusion : en France, on est très en retard dans ces études….

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