Marrakech, une ville qui regorge d’hyper-lieux ? [Hyper-lieux]

Par Alami Younssi Ghita, Senhaji Zineb, Lamrani Inès – Seconde 18

Le Maroc est connu pour sa pluralité et sa diversité. Pour sa beauté, ses traditions, ses coutumes et ses mœurs. Un royaume tiraillé entre la tentation d’imiter les autres pays et celle de garder ses valeurs et son originalité dans un espace mondialisé. Cette vision à la fois moderne et ancienne s’affiche de manière ostentatoire dans ses villes, qu’elles soient situées sur le littoral ou dans l’intérieur. En effet, au sein de chaque ville, nous retrouvons une partie réservée à l’ancienne médina et, une autre, qui a subi les modifications du colonialisme et de la mondialisation. C’est d’ailleurs ce dualisme qui attire autant les touristes. Ils restent perplexes face à ce décalage de deux temps et de deux générations différentes qui pourtant parviennent à vivre ensemble. La cité impériale de Marrakech en est la parfaite illustration. C’est une ville qui concentre plusieurs lieux très fréquentés que l’on peut même qualifier « d’hyper-lieux » selon le concept défini dans son essai par le géographe Michel Lussault.

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La place de Jemaa el-Fna, son origine et son rôle

La place Jemaa el-Fna, ou  place des trépassés, est une célèbre place publique au sud-ouest de la médina de Marrakech au Maroc. Ce haut-lieu traditionnel et animé, notamment à la tombée de la nuit, attire plus d’un million de visiteurs chaque année. La place Jemaa el-Fna est inscrite dans le patrimoine culturel depuis 2008 et au patrimoine mondial depuis 1985 par l’Unesco. C’est à l’origine une place où était appliquées publiquement les peines rendues par la justice. Aujourd’hui, elle est surtout connue pour ses nombreuses activités artisanales et son souk qui en font un espace très attractif pour les touristes malgré une représentation parfois un peu artificielle du folklore marocain.

En quoi cette place emblématique de la culture et du tourisme marocain répond-elle aux cinq critères définis par Michel Lussault pour caractériser un hyper-lieu ?

Cette place présente-t-elle un regroupement d’activités ?

Tout d’abord, un hyper-lieu regroupe une concentration intense d’activités diverses et variées. Effectivement, on retrouve à Jemaa el-Fna des spectacles hauts en couleur : des charmeurs de serpents (voir le son sur la carte Umaps), des danseurs, des singes “intelligents”, des caméléons très discrets, des oiseaux mélodieux, des lézards lézardant au soleil, des acrobates, des chanteurs, des conteurs, des hanaya (femmes qui font du henné). A cela s’ajoutent les marchands ambulants de gâteaux marocains, les porteurs d’eau qui interpellent les passants. Des étals de fruits secs, des boutiques de vêtements traditionnels (djellaba, babouches, tarbouches…) ainsi que des cafés et des restaurants animent aussi la place en offrant au passage un large panel de la gastronomie marocaine (tajines, pastilla…).

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Peut-elle être qualifiée d’hyper spatiale ?

Cette place offre aux visiteurs nationaux ou étrangers un réseau wifi. De petits magasins, exposant et vendant tout ce qui touche de près ou de loin à la technologie (téléphones, ordinateurs, chargeurs, appareils photos, coques….), sont par ailleurs disséminés autour de la place. Jemaa el-Fna est surtout très bien reliée et accessible grâce au développement des infrastructures de transport : taxis, bus, calèches traditionnelles, voitures, motos…A la suite de l’attentat du 28 avril 2011, qui a eu lieu dans le célèbre café Argana, des dispositions anti-terroristes ont été mises en place par les forces de l’ordre marocaines. L’accès à la place est à présent fermé par des blocs en béton armé et réservé exclusivement aux piétons. De plus, de nombreuses équipes de polices et militaires circulent aux alentours pour assurer la sécurité des touristes. On voit donc que le critère de l’hyper-spatialité est ici respecté.

Peut-elle être qualifiée d’hyper scalaire ?

Jemaa el-Fna peut être qualifiée d’hyper-scalaire car elle joue sur différentes échelles (du local au global) :

  • locale avec le souk et les marchands ambulants, les Marrakchis venus écouter le diseur de bonne aventure ;
  • nationale avec des franchises marocaines comme Inwi, Oliveri, des touristes nationaux provenant des autres villes du Maroc qui viennent se promener sur la place le temps d’un week-end ou lors des vacances scolaires ;
  • internationale avec des touristes du monde entier qui cherchent à s’imprégner de l’ambiance folklorique ou par le biais de boutiques proposant à la vente des marques mondialisées comme des canettes de Coca cola, des recharges Orange, des contrefaçons chinoises de chaussures de sport, etc. Ainsi, la place Jemaa el-Fna est bien un lieu qui relève de l’hyper-scalarité.

Y a-t-il des expériences partagées au sein de cette place ?

14e festival du film (source)

Jemaa el-Fna est un lieu médiatisé et très populaire sur la toile. Les visiteurs n’hésitent pas à partager sur Youtube, ou sur les réseaux sociaux, ce qu’ils ont vu en filmant (des vlogs) les animations et/ou en photographiant (des selfies) la place. Ainsi, de nombreuses expériences et impressions sont partagées sur le web avec notamment l’organisation de plusieurs évènements culturels comme le festival international du film. Il réunit depuis 2001 de nombreux acteurs et scénaristes du monde entier dont les films sont projetés sur un écran géant installé au milieu de la place.

Jemaa el-Fna, un lieu d’affinités ?

Les personnes qui se rendent dans ce lieu touristique ont un but commun, celui de découvrir la culture marocaine, d’acheter ou de vendre des produits artisanaux. On peut donc qualifier Jemaa el-Fna de lieu d’affinités. En effet, les touristes – qui n’ont pas forcément de familiarité entre eux – sont impressionnés par le travail et la maîtrise des artisans qui gravitent autour de la place. Ils n’hésitent pas à les encourager et leur achetent des tapis, des lustres ou bijoux en argent, des épices, des babouches, des accessoires en cuir…Les guides touristiques de la place recherchent des articles de bonne qualité et tentent de faire baisser les prix pour leurs clients qui les remercient en retour en les invitant autour d’un verre de thé à la menthe. Il y a donc là une vraie interaction entre la population locale et les touristes, qu’ils soient marocains ou d’une autre nationalité. La place Jemaa el-Fna est enfin un lieu très fréquenté par les familles qui souhaitent sortir, s’aérer et passer du bon temps.

La place Jemaa el-Fna nous semble donc répondre aux cinq critères qui permettent de qualifier cet espace unique en son genre d’hyper-lieu.

La gare de Marrakech, où transitent chaque année des millions de voyageurs, mérite-t-elle aussi ce qualificatif d’hyper-lieu ?

La Gare de Marrakech, son origine

Construite en 1923 puis rénovée en 2008, la gare de Marrakech est aujourd’hui l’une des principales gares ferroviaires du Maroc, enregistrant plus de 3 millions de voyageurs par an. C’est grâce à la synergie entre l’initiative de l’Office national du chemin de fer (ONCF) et le talent de l’architecte Youssef Melehi, qu’est né ce lieu central pour l’activité touristique de Marrakech !

La porte monumentale de la gare de Marrakech

La Gare, un lieu qui regroupe de nombreuses activités ?

Tout d’abord, la gare concentre en son sein différentes activités commerciales. Les voyageurs peuvent s’y procurer des tickets de train, réaliser des achats dans une galerie marchande qui regroupe plusieurs enseignes de renom, retirer de l’argent à la banque, se renseigner auprès d’une agence immobilière. Il y a aussi bien sûr de nombreux restaurants et cafés pour occuper les voyageurs ou leur permettre de se sustenter. En fait, la gare a été conçue comme une plaque tournante pour les nombreux flux de voyageurs, tout en étant agréable et accueillante pour les personnes qui viennent chercher un proche ou simplement flâner aux abords.

Peut-elle être qualifiée d’hyper spatiale ?

Ensuite, les commerces et les personnes sont sans cesse connectés via leur smartphone car la gare propose un réseau wifi permanent et gratuit pour tous les voyageurs. Elle est bien reliée au reste de la ville. D’ailleurs, à la sortie de la gare des taxis sont alignés et le bus passe devant. Son emplacement est également stratégique : le bâtiment s’inscrit dans un espace situé à la croisée des deux artères principales de la ville, l’avenue Mohamed VI (ancienne avenue de France) et l’avenue Hassan II. Les liaisons ferroviaires de la gare permettent enfin de rattacher Marrakech au reste du Maroc en faisant en sorte que les prix des voyages soient accessibles à tous.

Peut-on la qualifier d’hyper scalaire ?

La gare de Marrakech génère une dynamique spatiale qui participe à la restructuration du quartier tout en servant les habitants indifféremment de leur classe sociale : « La gare est le bâtiment de transport le plus démocratique, il permet de transporter un grand nombre de personnes de classes différentes. De plus, il s’inscrit au sein même de la ville alors qu’il en était autrefois écarté », témoigne l’architecte Youssef Melehi. Ainsi, la gare a une influence à l’échelle locale mais aussi nationale puisqu’elle permet de se déplacer dans tout le Maroc. On retrouve également une résonance à l’échelle internationale avec la présence de chaînes de restauration mondialement connues comme Mcdonald’s ou encore Segafredo.

La gare, un lieu où des expériences sont partagées ?

C’est un espace où des expériences sont partagées, mais pas toujours. Le fait est qu’Il n’y a pas forcément une interaction spécifique entre les voyageurs sinon celle de demander son chemin ou d’acheter un ticket de train par exemple. Ils peuvent néanmoins se retrouver autour d’un café ou faire du shopping tout en admirant l’architecture de la gare. En effet, celle-ci est à la fois moderne et fonctionnelle. Elle offre la possibilité d’accueillir de manière efficace les voyageurs mais aussi des touristes souhaitant découvrir une architecture traditionnelle, notamment les murs construits avec des matériaux naturels (comme la terre) qui rappellent la couleur originelle de la cité et des vieux remparts de Marrakech.

La Gare, un lieu où naissent des affinités, des relations ?

Des voyageurs sur les quais de la gare

On peut considérer que la gare de Marrakech est un lieu d’affinités dans le sens où les personnes qui s’y rendent le font dans un but commun : celui de prendre le train ou passer du bon temps. Des échanges entre les voyageurs et le personnel de la gare s’établissent aussi même si ils sont avant tout liés à des renseignements ponctuels. Les voyageurs peuvent enfin nouer des contacts entre eux, discuter et partager leurs expériences touristiques.

Nous pouvons constater que la gare répond bien à la définition d’un hyper-lieu même si certains critères ne sont pas totalement respectés.

En conclusion, Marrakech est une ville riche en hyper-lieux grâce à la coexistence de deux univers différents : un côté traditionnel, bien ancré dans le passé, et un côté plus moderne. Ainsi, malgré l’uniformisation du Monde, Marrakech a su garder son patrimoine culturel tout en acceptant le développement et le progrès au sein de la ville.

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