Le Père Lachaise

Par Rayan Boukhari, lycée Auguste-Renoir d’Asnières- sur-Seine

Le cimetière du Père-Lachaise à Paris est un immense espace de 43 hectares qui compte aujourd’hui 70 000 tombes (et 26 000 urnes funéraires). Il est un lieu de mémoire individuelle, familiale, mais aussi historique et collective.
Il date du début du XIXème siècle. Situé dans un des quartiers pauvres de l’est de la capitale, ce terrain était alors un domaine abandonné qui avait accueilli auparavant une maison de plaisance. Le domaine fut transformé en cimetière en 1804 car Paris en manquait, suite notamment à un décret napoléonien décrétant le droit pour tous à être enterré, quelle que soit la religion, l’origine, la condition sociale.
Les plans du nouveau cimetière furent conçus par Brongniart, un architecte néo-classique qui aménage le cimetière comme un jardin à l’anglaise. Il était à l’origine peu populaire auprès des Parisiens, car situé dans les hauteurs de Paris et dans un quartier populaire. En 1815, on n’y comptait encore pas plus de 2 000 tombes . Pour redorer l’image du cimetière, le préfet de Paris organise le transfert des dépouilles d’Héloïse et d’Abélard, ainsi que de Molière et de La Fontaine. Le cimetière du Père Lachaise devient alors prisé. Dès lors, de grands sculpteurs furent employés pour construire des tombes qui devinrent de véritables monuments et de nombreuses célébrités choisirent de s’y faire enterrer. Il connut plusieurs agrandissements qui triplèrent sa superficie (de 17 ha à 43 ha).
Peut-on dire du cimetière du Père-Lachaise qu’il est un hyper-lieu ? Ce concept a été forgé en 2017 par le géographe Michel Lussault, selon cinq critères : l’intensité d’un espace dense et divers, l’hyper-spatialité, l’hyper-scalarité, un espace d’expériences partagées, un lieu d’affinités. Cela fait penser d’abord à un quartier des affaires, un aéroport, un lieu moderne… Mais un cimetière ?

L’intensité d’un espace dense et divers

Guide attendant des visiteurs à l’entrée principale du cimetière

Paradoxe pour un cimetière : le Père Lachaise est un lieu très vivant, à la fois lieu de visite et de travail. Il est fréquenté par des millions de touristes, peut-être 3.5 millions par an mais le chiffre est nécessairement approximatif vu que l’accès est libre et gratuit. Cette attractivité touristique est visible virtuellement sur le net avec les nombreux sites consacrés au cimetière, mais aussi in situ : des guides touristiques attendent à l’entrée ou parcourent les allées boisées avec des groupes plus ou moins grands.

Les motivations des visiteurs sont diverses : se recueillir sur la tombe d’un proche, s’intéresser à l’architecture et à la décoration des tombes, voyage dans l’Histoire, ou plus simplement chercher la fraîcheur et le calme d’un lieu ombragé, et bien sûr se rendre sur la tombe d’une célébrité qu’on a aimé (cas des icônes de la chanson ou du cinéma par exemple). La visite au Père Lachaise s’apparente alors à un pèlerinage, reprenant des rites : messages, fleurs, moment de recueillement… Par exemple, la tombe d’Allan Kardec, fondateur du spiritisme, ne défleurit jamais. Sur celle du journaliste Victor Noir, la protubérance au niveau des parties génitales brille à force d’être frottée, car elle est considérée comme un symbole de fertilité.

Des cérémonies ont régulièrement lieu, notamment devant les monuments en mémoire de la déportation des juifs et des résistants durant la 2nde Guerre mondiale, les monuments aux soldats des deux Guerres mondiales, ou encore devant des stèles en mémoire d’accidents, par exemple le jour de notre visite en hommage aux victimes de l’accident aérien AF Paris-Rio le 1er juin 2009.

D’autre part, le cimetière est le lieu de travail de jardiniers de la ville de Paris, de gardiens, d’employés des pompes funèbres, etc.

L’hyper-spatialité

Les visiteurs sont connectés, les téléphones portables sont légions : les visiteurs s’en servent pour se guider, avec les applications géolocalisant les tombes célèbres ; pour communiquer (« Devine où je suis ? ») ; pour photographier les tombes des célébrités et se photographier devant. Autant de moments souvent partagés par le téléphone portable.

 

 

 

L’hyper-scalarité

Une des stations de métro (Gambetta) desservant le cimetière.

Multiscalaire, le Père Lachaise l’est par son insertion locale dans une ville globale : c’est un lieu touristique, accessible par deux entrées (haut et bas du cimetière), trois lignes de métro, et plusieurs lignes de bus, dans une ville qui est l’une des plus visitées au monde.

Plus encore, le cimetière est multiscalaire par ses occupants. La grande majorité relèvent de l’échelle locale : ce sont les habitants de Paris, parfois notables du Paris officiel et administratif.
Mais un nombre non négligeable relèvent de l’échelle nationale : ce sont les noms de l’histoire politique de la France (Adolphe Thiers, Félix Faure…), les artistes de la musique et de la chanson (Georges Bizet, Gilbert Bécaud, Edith Piaf, Mouloudji, Michel Delpech, Jacques Higelin, Bruno Coquatrix, Henri Salvador, Manu Solo…), du théâtre et cinéma (Georges Mélies, Sarah Bernhardt, Yves Montand, Simone Signoret, Claude Chabrol, Annie Girardot) et de la scène en général (Pierre Desproges, Marcel Marceau), des écrivains (Colette Apollinaire, Proust, Balzac, Molière, Musset, La Fontaine, Beaumarchais, Eluard…), des peintres (Camille Pissaro, Paul Signac…).
Enfin l’échelle européenne et mondiale est rendue présente par les tombes des célébrités d’ailleurs, comme Jim Morrisson (avec caméra de surveillance pointée sur elle en permanence) ou Oscar Wilde qui comptent parmi les tombes les plus visitées ; par celles des réfugiés venus à Paris au XIXème et au XXème siècle, des Polonais aux Cambodgiens ; par les monuments des groupes nationaux morts durant la 1ère Guerre mondiale (Arméniens, Belges, Italiens, Grecs, Tchécoslovaques, Soviétiques), la 2nde Guerre mondiale (étrangers, armée polonaise, Espagnols), dans les camps nazis de concentration et d’extermination (les premiers monuments dédiés à Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück, Mauthausen.

Le Père Lachaise, un cimetière international

Un espace d’expériences partagées

Le partage est au cœur de l’expérience touristique : selfies et photographies sont diffusés, envoyés par SMS, illustrent des blogs de voyage. Il culmine au moment des enterrements de célébrités, comme par exemple les obsèques de Jacques Higelin.

Un lieu d’affinités

Clairement, le cimetière est un lieu d’affinités :

  • familiales avec les rassemblements lors des enterrements et des hommages au défunt ;
  • esthétiques lorsqu’on vient rendre hommage à un artiste qu’on aimait, ainsi les crayons sur la tombe de Tignous, un des dessinateurs de Charlie Hebdo assassinés en janvier 2015  ;
  • affinités politiques : Le Père Lachaise est un des lieux de la gauche, situé dans les quartiers les plus populaires de Paris, ceux des révolutions et des barricades. Ceci est symbolisé par le mur des Fédérés : les Communards installèrent leur artillerie en plein cœur du cimetière, mais furent rapidement encerclés par les Versaillais. Les 147 survivants furent fusillés le 28 mai 871 devant le mur qui prit ensuite le nom de mur des Fédérés au sud du cimetière. Dans un rayon de 50 mètres on trouve toutes sortes de tombes et monuments d’hommes politiques, de partis et de mouvements de gauche comme des secrétaires généraux du Parti communiste français ou les Brigades internationales, la Résistance, Eugène Pottier, des ouvriers…

 

Ainsi, à bien des égards, le cimetière du Père Lachaise répond aux critères de l’hyper-lieu : c’est un lieu ancré dans le local, authentiquement parisien, mais qui a des échos et des connections avec le reste du monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *